La superbe société française d’édition de logiciel, Dassault Systèmes, tiendra à son siège social une assemblée générale extraordinaire à la rentrée (4 septembre 2015), l’occasion pour la société de faire revoter les actionnaires sur l’autorisation d’attribuer des actions gratuites aux salariés et/ou dirigeants suite à quelques modifications techniques introduites par la Loi Macron, notamment la réduction du délai minimum d’acquisition à une seule année. Elle ne répond toutefois en rien pour le moment aux réserves exprimées lors de la dernière assemblée par les actionnaires minoritaires.
Certes le mécontentement des investisseurs est passé plutôt inaperçu à l’AG 2015 avec un taux d’approbation de la résolution de 85,80%. Ce taux facialement élevé s’explique facilement : la faute en revient à l’absence d’exercice des droits de vote de certains actionnaires « passifs », plus disposés à empocher le dividende qu’à exercer leur devoir de vigilance mais aussi au mécanisme dit du « droit de vote double » qui offre un droit de vote disproportionné aux actionnaires inscrits au nominatif, principalement la famille Dassault et les dirigeants (Charles Edelstenne, Président du conseil, et Bernard Charlès, Directeur Général). Cet effet conjugué de la passivité de certains actionnaires et du mécanisme des droits de vote double permet à la famille Dassault et aux dirigeants de contrôler environ 76% des voix le jour de l’assemblée en ne détenant que 48% des actions. Si l’on s’intéresse aux seuls actionnaires minoritaires ayant voté, une majorité (59%) des actionnaires minoritaires se sera opposée lors de la dernière assemblée. Les gérants d’actifs AXA Investment Management et NN Investment Partners (ex- ING Investment Management) expliquent ainsi respectivement leur raison d’opposition : « Pay for performance is not clear » et « This proposal merits an AGAINST vote because the level of information on performance criteria remains insufficient. » (source : Proxy Insight)
Il semble que le conseil d’administration de Dassault Systèmes n’ait pas ressenti le mécontentement de ses actionnaires minoritaires puisque les conditions de performance ne sont toujours pas annoncées. Il est vrai que ce conseil est majoritairement composé de représentants de la direction et du Groupe Industriel Marcel Dassault, une composition qui n’encourage probablement pas assez la réponse aux préoccupations des minoritaires.
Au-delà du caractère déplaisant du « vote à l’aveugle » (les nouvelles conditions de performance ne sont toujours pas annoncées), l’actionnaire minoritaire ne peut qu’être dubitatif devant les conditions de performance sous-jacentes au dernier plan. En effet, il suffit chaque année pendant trois ans d’une croissance positive du bénéfice par action non-IFRS OU une surperformance du cours relative au CAC 40 pour valider l’atteinte des conditions de performance. La combinaison de deux critères alternatifs est appelée par les spécialistes « critères de rattrapage » puisque si Dassault Systèmes voit son bénéfice par action diminuer, le second critère peut encore « rattraper » la mise.
Pour devenir actionnaire de Dassault Systèmes, l’investisseur doit actuellement acheter l’action 31 fois son bénéfice par action attendu en 2015 (Price Earning Ratio). Dassault Systèmes est en effet une des belles valeurs de croissance de la place de Paris. A ce prix, l’actionnaire qui investit ou conserve sa position n’attend pas la rentabilité du livret A : une simple croissance légèrement positive du bénéfice par action non-IFRS pour Dassault Systèmes serait décevante, les actionnaires attendant une vraie croissance structurelle significative du bénéfice par action. D’ailleurs la direction de Dassault Systèmes a elle-même annoncé attendre une croissance significative pour l’exercice 2015 de 11-12% du chiffre d’affaires. Il y a donc un double discours entre les ambitions affichées du groupe et la politique de rémunération de son Directeur Général. L’esprit du code AFEP-MEDEF qui recommande dans son article 23.2.4 que l’acquisition des actions soit liée « à des conditions de performance sérieuses et exigeantes » est ici détourné. On s’interrogera par ailleurs de l’intérêt pour une valeur telle que Dassault Systèmes de se comparer au CAC 40 plutôt qu’à un échantillon pertinent de sociétés concurrentes (PTC Inc, etc) ou un indice du secteur des Technologies ou logiciels.
La résolution 1 de l’assemblée générale extraordinaire autorise 35% de l’enveloppe de 2% du capital pour les mandataires sociaux dirigeants, soit l’équivalent de 0,70% du capital valant 119M€ au cours actuel. En 2014, ce sont 5M€ en valeurs IFRS qui ont été attribués à Bernard Charlès. A ces niveaux de rémunération, les actionnaires minoritaires sont en droit de demander l’assujettissement de l’acquisition des actions gratuites à des conditions de performance un peu plus sérieuses et cohérentes avec le projet du groupe et Proxinvest recommande de s’opposer à la résolution 1 dans sa Lettre Conseil récemment mise à disposition de ses clients…
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