Alors que l’affaire VW fait ouvrir les yeux sur la sincérité relative de certains dirigeants de sociétés cotées, les Entretiens de la Commission des Sanctions auront disserté le 9 octobre sur la question vaporeuse du « Non bis in idem »,  tandis  que les Entretiens de l’AMF se sont intéressés, eux le 16 Novembre, aux « Nouveaux Risques de la Finance Mondiale ».

Six personnes dont trois femmes  planchaient sur les risques (*) sous la houlette du Secrétaire Général, Benoît de Juvigny, la conclusion étant laissée à l’ancien président de la BCE et président du think tank Bruegel, Jean-Claude Trichet.

L’exercice était difficile et fut, il faut le dire, réussi.

Contrairement à ce que nous avions écrit le vrai et premier risque de la finance mondiale a été abordé dès le départ, l’étranglement de l’investissement  comme souligné notamment par Gérard Rameix avec la disparition des actionnaires individuels. Comme prévu, les orateurs se sont fait peur sur le manque de liquidité, le shadow banking, la cyber-insécurité, le poids des ratios,  le high frequency trading, mais nullement sur les manquements de la banque universelle ni de la dégradation des mœurs de nos marchés financiers… Et si Benoit Coeuré, membre du Directoire de la Banque Centrale Européenne, a clairement indiqué que la BCE était favorable à une dissociation des fonctions bancaires,  il n’a pas dit pourquoi, et les confusions d’intérêts de la banque universelle, leur incidence sur le non-financement des PME et sur  l’illiquidité des marchés n’ont hélas à aucun moment été évoquées.

L’ambiance était morose, en cette période difficile des attentats de Paris,  quoique si les orateurs s’entendaient a écarter toute bulle de sur-évaluation grave des actifs, le constat de stagnation était là et  la perspective du scenario à la japonaise s’imposait, incontournable sauf a obtenir un résultat inespéré des taux négatifs.

Jean-Claude Trichet, celui qui n’a jamais voulu voir le problème du modèle bancaire en face, a voulu terminer sur  une note positive en évoquant le surplus des paiements courants européen et l’accord des convergences des USA et du Japon sur la bonne mesure de la stabilité des prix à 2% d’inflation …

Gérard Rameix, interrogé récemment par Laurence Boisseau des Echos sur les affaires Vivendi et Alcatel-Lucent, avait laissé peu d’espoir quant aux priorités actuelles de l’AMF en indiquant que dans ces deux dossiers le tir avait été partiellement corrigé…et qu’il était difficile d’établir l’impact du le marché des déclarations faites par ces sociétés.

Or, dans ces deux cas cités, le mal qui a été fait aura été bien maintenu pour l’essentiel : assemblée générale truquée et gagnée chez Vivendi pour V. Bolloré qui a obtenu son droit de vote double par intimidation mensongère et menaces de ses actionnaires étrangers (en pratique une opération de prise de contrôle) ,  et, côté Alcatel Lucent, une cession partielle à Nokia avec le maintien final d’une forte rémunération   de 8 M€ au dirigeant d’Alcatel-Lucent qui n’aura ainsi pas respecté les conditions annoncées au marché début avril.

A l’heure ou certains dirigeants ou actionnaires majoritaires abusent sans aucune sanction, de leur position d’émetteur pour tromper les autres « parties prenantes », il convient de revenir à une vraie repression de l’information mensongère

L’article L.465.2  dans son second alinéa punit de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros celui qui « répand ou tente de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d’un émetteur ou de ses titres admis aux négociations… »

Cet article de loi est complété par le Règlement Général de l’AMF, lequel distingue les manipulations de cours des autres manipulations de marché. Ainsi, dans son article R 612-2 le R.G. AMF restreint les infractions de manipulation de cours à sa propre analyse de critères, et en particulier de « l’incidence de ladite pratique concernée sur les conditions de marché, au regard notamment du cours moyen pondéré quotidien ou du cours de clôture quotidien. » Il faut, le Secrétaire Général de l’AMF l’a rappelé,  que l’effet sur le prix d’une « manipulation de cours » soit vérifié… Evidemment, si l’on trompe le marché par des opérations occultes, nul ne peut jamais observer, par définition, d’effet sur les cours du titre (cf. affaire Wendel)…

Il existe d’ailleurs des tromperies qui impactent fortement la vie du titre sur la durée sans que le mouvement n’en soit brusque et donc perceptible pour quiconque. Certaines manœuvres des majoritaires découragent ainsi les futurs actionnaires et lèsent donc directement quoique de façon difficile à établir les actionnaires minoritaires et les autres parties prenantes…

C’est donc bien à juste titre que l’AMF a défini dans son Règlement cette autre « manipulation » du public des épargnants et salariés dans un second chapitre du Titre III Manipulations de marché,  le  Chapitre II – « Manquement aux obligations d’information » Section unique – Diffusion d’une fausse information.

Le premier alinéa de l’Article R 632-1 R.G. AMF,  définit ainsi  l’infraction« Toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers (Arrêté du 5 juin 2014)  , y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses. »

Ce texte définit donc clairement  l’infraction d’information mensongère hors tout impact de cours.

Proxinvest a transmis cette année à l’AMF quelques forts exemples de manœuvres manifestes de la part de grands émetteurs, que nous qualifions sur notre site , sans démenti aucun, et sans aucune plainte pour diffamation,  d’ «information mensongère » – parfois renouvelée – donc bien de la « manipulation de marché », opérée soit par publication ou diffusion (dans certains cas même rétractée par l’émetteur, ce qui, à nos yeux, confirmerait l’infraction… ), infractions signées ou initiées par les dirigeants de fières sociétés comme Vivendi, Alcatel-Lucent, Renault,  Alstom, Sanofi…

Certains de ces cas, comme ceux de Renault et Vivendi, relèveraient d’ailleurs aussi de l’article  R.223-1 du RG AMF qui demande que « L’information donnée au public par l’émetteur doit être exacte, précise et sincère. » ( cf. la jurisprudence Faurecia très technique mais exemplaire…)

Les investisseurs ont besoin d’être assuré que l’Article 632-1 du règlement de l’AMF ne s’applique pas sérieusement qu’aux petits analystes financiers blogueurs qui contestent la présentation des ratios de la Société Générale, condamnés, aux actionnaires contestataires de sociétés émettrices type Miguet ou Testuz, ou encore aux journalistes et aux seules toutes petites cotations (Couach)…Contre ces « petits joueurs » la jurisprudence de l’AMF, qui a l’exclusive de ses instructions, sait reconnaître l’infraction à l’Article R.632-1.

Nous pensons chez Proxinvest qu’une bonne jurisprudence de l’information mensongère se doit d’être équitable,  qu’il convient que l’AMF cesse de demander a la Fédération des banques son ordre du jour et qu’elle pose enfin les vrais problèmes de nos marchés  financiers.

Pierre-Henri Leroy

(*) Participaient au panel sur les risques:

  • une spécialiste du marché des futures à Chicago, Sharon Y. Bowen
  • un membre du directoire de la BCE , Benoit Coeuré
  • une économiste de l’OCDE ,
  • un directeur général adjoint de BNP Paribas, Alain Papiasse
  • et la dirigeante toute puissante du fonds d’investissement privé Ardian, Dominique Sénéquier, une pro du LBO

 

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