Are Shareholder Votes Rigged?
Les votes des actionnaires sont-ils truqués? Voici l’excellente et impertinente question posée par les professeurs de finance Laurent Bach et Daniel Metzger de la Stockholm School of Economics dans un nouveau article de recherche publié ce 4 janvier 2017.
La direction des grandes sociétés a un avantage extraordinaire dans le processus des campagnes de vote en amont des assemblées générales car elle détient un accès privilégié à l’identité des actionnaires et une information sur la remontée des votes par correspondance en temps réel. En analysant statistiquement le marché américain, où les résolutions externes d’actionnaires sont plus fréquentes qu’en France, les professeurs montrent que les directions utilisent ce privilège pour lutter contre les propositions d’actionnaires qui ont de bonnes chances d’obtenir la majorité et d’imposer des réformes de gouvernance substantielles.
Les professeurs emploient le mot fort de « trucage » (rigging) car, contrairement au débat d’idées normal d’une campagne, les directions peuvent influencer et gérer assez précisément les résultats de vote.
Les chercheurs ont analysé les résultats des votes des résolutions d’actionnaires relatives au gouvernement d’entreprise dans les grandes sociétés américaines entre 2003 et 2016. Ils observent des anomalies dans la répartition des résultats de vote, notamment un niveau anormal de résolutions d’actionnaires qui sont gagnées avec une très faible marge par la direction, c’est à dire par moins d’un pourcent des actions en circulation. En utilisant des distributions contrefactuelles, les chercheurs estiment qu’environ 11% des propositions qui ont été rejetées par une marge de moins de 10% des votes auraient été adoptées si la direction n’avait pas pu influer sur les résultats du vote.
Selon eux, leur observation est d’autant plus inquiétante que les directions essaient d’autant plus de contrôler le résultat des votes lorsque le sujet est d’importance et a de grandes chances de succès du fait d’une préoccupation largement partagées par les investisseurs et les agences de conseil de vote. Les sociétés américaines, pour beaucoup enregistrées dans le Delaware, ont accumulé beaucoup de retard en matière de gouvernement d’entreprise et de droits des actionnaires. Certains investisseurs essaient donc de changer la donne grâce à l’inscription de résolutions externes, par exemple en proposant la fin des « classified Boards« . Le principal problème de ces conseils d’administration à renouvellement échelonné réside dans le fait que l’assemblée générale ne dispose pas du droit de révocation, contrairement au droit des actionnaires en France, les administrateurs restent ainsi indéboulonnables jusqu’à la fin de leur mandat même contre l’avis des actionnaires. C’est aussi un mécanisme de défense anti-OPA puisqu’il est peu probable de voir un acquéreur lancer une offre publique sans pouvoir accéder ensuite au conseil d’administration. Autre sujet poussé par les investisseurs aux Etats-Unis : l’introduction de l’élection à la majorité des voix (« majority rule« ). Cette pratique traditionnelle en France n’est pas toujours en oeuvre dans les sociétés américaines. Sans cette règle un administrateur peut être nommé même s’il n’obtient pas la majorité des voix en assemblée générale. Cela peut notamment être le cas si la société propose huit candidats pour huit places au conseil.
Les professeurs observent que le taux de participation à l’assemblée générale est plus élevé lorsque ces résolutions dissidentes apparaissent. Ils soupçonnent alors la direction d’utiliser les moyens de la société pour aller chercher de façon exceptionnelle les actionnaires qui n’exercent généralement pas leur droit de vote, notamment les cadres de la société et les actionnaires particuliers. De même, plus de moyens seraient consacrés à convaincre les investisseurs à déroger à leur politique de vote, ce que l’on observe aussi couramment en France avec le travail des proxy solicitors. Les investisseurs n’ont jamais autant de pression sur leur vote que lorsqu’une résolution est en danger.
L’information privilégiée dont bénéficie la direction d’une entreprise contribue significativement à son enracinement.
Cette étude résonne en France alors que l’importante assemblée générale de Solocal a été marquée par ce type de comportement. On remarquera que le taux de participation à l’assemblée générale aura augmenté d’environ 20%, fruit de budgets publicitaires de campagne en faveur du vote. Si on ne peut que se réjouir d’une meilleure participation, on ne peut s’empêcher de penser que la direction avait aussi pour but de diluer le poids des actionnaires contestataires ce qui tendrait à conforter la thèse des professeurs Bach et Metzger. Ensuite, prenant un ton solennel et montant au pupitre, Robert de Metz, Président du conseil d’administration, avait gravement indiqué au moment du passage au vote des résolutions « Sur la base des informations dont je dispose, compte tenu des votes préenregistrés il est très possible que les résolutions relatives au Plan de restructuration financière…n’obtiennent pas la majorité requise des deux tiers. […] Vous savez comme moi les conséquences que cela aura pour l’entreprise quoi qu’aient pu en dire certains, pour vous-même en tant qu’actionnaire mais également pour les 4400 collaborateurs et leur famille.[…] Donc, j’appelle l’ensemble des actionnaires présents dans cette salle à la plus grande responsabilité au moment d’exprimer leur vote dans les minutes qui viennent. Le sort de la société est vraiment entre vos mains. ». Finalement la première résolution du plan de la direction aura été rejetée puis soumise de nouveau au vote « pour être sûr » et sera lors de ce second vote adoptée de justesse en obtenant 0,3% de voix au delà de la majorité requise des deux-tiers. Sans l’information privilégiée que représente la connaissance préalable des votes par correspondance transmis par le prestataire BNP Paribas Securities Services, il est probable que les conditions financières du plan de restructuration n’auraient pas été adoptées.
La question est complexe car ceux sont parfois les premiers votes négatifs collectés par la société qui permettent à celle-ci de corriger sa copie. Le conseil d’administration de Renault a ainsi par exemple pu cette année corriger avant l’assemblée générale les conditions de performance laxistes qu’il avait annoncées dans un premier temps dans sa brochure de convocation pour le nouveau plan d’actions gratuites.
L’information privilégiée sur les votes dont bénéficient les directions est en tout cas le fruit d’un processus de vote archaïque, très lourd, interbancaire, administratif et coûteux à la suite duquel l’actionnaire ne reçoit même pas la confirmation de son vote. Face à la volonté des émetteurs et actionnaires pour améliorer le processus de vote, les intermédiaires financiers custodians se sont montrés peu ouverts pour améliorer le processus de vote, préférant leurs méthodes ancestrales rémunératrices à la modernité. Avec la technologie de la blockchain, le rôle des intermédiaires financiers pourrait être réduit à leur fonction de certification de la détention des titres, allégeant et accélérant ainsi le processus de vote, offrant plus de temps et de confort à l’actionnaire et permettant si ce dernier le désire de n’être découvert qu’au moment du dépouillement des urnes, le jour de l’assemblée…
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