Il faut réglementer le marché de la dette et les LBO

Il faut réglementer le marché de la dette et les LBO

LBO_FlecheLes précédents Belvedère, Vivarte, Solocal Group crient à l’urgence d’une réforme en France et à l’étranger du marché de la dette  L’épuisement des sociétés cotées par leurs créanciers et leur reprise sous les manœuvres de déstabilisation de certains dirigeants associés aux intérêts d’un groupe repreneur produisent de la casse industrielle, la ruine des actionnaires et la fermeture des sites. Or, il y a vraiment lieu de craindre que la nouvelle procédure de Sauvegarde Financière Accélérée introduite par la Loi de régulation bancaire et financière de 2010, associée à la Loi Macron de 2015, ne permette aux créanciers de mieux s’approprier les entreprises rentables aux détriment de leurs actionnaires.

Dans un excellent article (Les Echos du 9 janvier 2017 : « Empêcher le dépeçage d’entreprises par les fonds vautours« ) l’ancien président de Vivarte, Marc Lelandais  décrit parfaitement bien la situation et appelle à « en finir avec l’absence d’autorité de régulation du marché de dettes » . La question se pose avec l’affaire Solocal Group d’une nouvelle logique de reprise des dettes de groupes sains (le groupe génère des bénéfices) pour  les mettre en situation de stress bancaire et les forcer à se vendre au plus bas au syndicat des créanciers.  On va voir ci dessous que si les droits des actionnaires étaient vraiment respectés et contrôlés par le Régulateur une grande partie des problèmes extrêmes rencontrés dans ce dossier ne se seraient pas posés.

Marc Lelandais rappelle d’abord justement  que les sociétés reprises sur fort taux d’endettement se trouvent dépouillées de toute marge de manœuvre concurrentielle et de leur capacité de modernisation des outils : la pression sur le dividende mise par le repreneur endetté, ou, ce qui revient au même, la pression du service de la dette quand celle-ci a été soigneusement transférée du repreneur à sa cible épuise celle-ci et semble la condamner.

L’auteur expose clairement que le propre du créancier « vautour » est d’améliorer la rentabilité de sa créance en forçant le débiteur à des cadeaux en capital.  Les créanciers ont ainsi tout à gagner à déstabiliser la cible pour se payer en capital à bas prix, des clause abusives sur la dette (« covenants ») vont les y aider. Les créanciers de Solocal group ont parfaitement réussi a mettre le manager qu’ils avaient nommés à leur service :  la société était valorisée 660 euros lors de la cession par France Telecom au fonds KKR (1), ses créanciers après une première opération de refinancement au cours de 15  euros en 2014 (2) intégralement consacrée à rembourser leur dette et payer des commissions de banquiers d’affaires et d’avocats, viennent de s’octroyer la possibilité d’acquérir jusqu’à 86 % du capital à un prix défiant toute concurrence. La déstabilisation des dirigeants, des salariés et des actionnaires de Solocal group, engagée courant 2015 et développée tout au long de l’année 2016, a été fondée sur une information défectueuse, le plus souvent mensongère et pourtant parfaitement tolérée par l’AMF .

L’information mensongère des émetteurs, bien trop mal réprimée en France, est bien un facteur essentiel de la manœuvre de dépréciation de l’actif que les créanciers souhaitent « fagociter » à l’occasion d’un sauvetage dont l’urgence et la légitimité étaient dans le dossier Solocal Group, nulle.

Faut-il donc, pour un bon LBO, disposer dès le départ, d’administrateurs peu soucieux de l’intégrité de l’information et du respect des minoritaires ? N’est-ce pas ce qui permettra dans un premier temps la génération de résultats sociaux très positifs sur la base de résultats internes plus ou moins fictifs ?  Le contrôle des conventions réglementées tendant à disparaître par la complaisance organisée de la plupart des commissaires aux comptes et des  administrateurs,  rien n’est plus facile aujourd’hui pour une maison mère que de réaliser les bénéfices fictifs sur ses filiales contrôlées. Les fonds propres sociaux permettront des lors le versement des dividendes nécessaires au transfert de la dette du repreneur vers sa cible…

Puis dans un second temps, comme la démontré Solocal Group, la dépréciation brutale des participations dans les filiales opérationnelles ou  alternativement des provisions pour risque plus ou moins fondées, vont permettre  de déprimer le cours de la société cible. Autre avantage, ces pertes sociales vont rapporter les fonds propres au dessous du nominal et justifier la réduction de capital indispensables pour émettre au dessous de l’ancien nominal de l’action.

Pour vassaliser le dirigeant du groupe repris en LBO,  les créanciers ont dû le paralyser dès avant la mise en place du premier emprunt. Quelques clauses parfaitement contestables en droit vont ainsi empêcher tout rachat d’emprunts par la société ou décourager tout remboursement anticipé par recours à d’autres prêteurs.  C’est par exemple le cas pour Solocal Group qui a du supporter un marché de la dette à fort taux d’intérêt decotant pourtant de 40% sans pouvoir racheter et annuler ladite dette.
Afin de s’assurer que les possibilités d’augmentations de capital leur reste réservées les créanciers doivent donc, on l’a compris,  disposer d’un conseil d’administration docile et introduire des clauses de remboursement anticipé obligatoire en cas de changement de contrôle ou – c’est le cas de Solocal group – du changement d »une majorité d’administrateurs au conseil. S’il est légitime d’exiger une continuité de la gouvernance il est contraire au droits des actionnaires de réserver le conseil aux amis des créanciers. De telle clauses qui touchent au droit fondamental des actionnaires de changer librement les administrateurs et les dirigeants devraient évidemment être interdites, mais elles sont, semble-t-il, devenues communes même dans le cadre classique du financement par syndicat bancaire.

Le jeu des créanciers vautours sera d’autant plus facile que les marges d’intérêts seront variables et déplafonnées.

On voit que ces diverses clauses paralysent en réalité les dirigeants et constituent  de ce fait ce que La Cour de cassation qualifie de « direction de fait » de « toute personne qui, sans avoir été régulièrement désignée en qualité de dirigeant de droit, se sera distinguée par une activité positive dans la direction et la gestion de la personne morale, en toute souveraineté et indépendance, pour influer sur celle-ci de manière déterminante  » (Cass. Crim. 3 décembre 1991)

Ainsi l’objectif du plan de financement étant qu’il n’aille surtout pas à sa fin mais soit renégocié avant , tout ce qui peut précipiter  un règlement judiciaire et ses suites fatales pour les actionnaires sera mis en avant… alors que justement les actionnaires auraient moins a perdre d’un règlement judiciaire que les créanciers.

AG 2017 : des proxys toujours plus exigeants – Labrador France

En 2016 seules quatre sociétés du SBF 120 ont soumis au vote des actionnaires des autorisations d’émissions obligataires ce qui n’est plus obligatoire depuis l’ordonnance de 2004: Proxinvest recommande cette année 2017 aux sociétés cotées de veiller à consulter en assemblée générale leurs actionnaires sur un niveau d’endettement maximum.

La faveur constante des tribunaux de commerce pour les émetteurs est souvent critiquée, mais le silence écrasant de l’AMF a semblé pire dans le dossier Solocal group, face aux violations fréquentes par certains émetteurs des articles L 465-2 (Sera puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros celui qui « répand ou tente de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d’un émetteur ou de ses titres admis aux négociations… ») et  R 632-1 R.G. AMF,   : « Toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers (Arrêté du 5 juin 2014)  , y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses. » Il est aussi remarquable que dans ce dossier les créanciers aient engagé avec la société une demande de dispense d’OPA étudiée par l’AMF le 13 décembre ce dont les actionnaires réunis en assemblée générale n’ont eux pas été informés… L’association entre dirigeants et créanciers, invités à parler en assemblée générale,  fut constante. La gestion de fait semble établie… L’impunité aussi.

On l’a compris : une réforme du marché de la dette par une réglementation des émissions obligataires et des syndicats bancaires semble  bien souhaitable ( interdiction de clauses d’accélération liées à l’évolution de la composition du conseil, interdiction de taux d’intérêts non plafonnés, interdiction de restriction sur le rachat des dettes et sur les remboursements anticipés, vote d’approbation des assemblées générales sur le niveau d’endettement maximal). Mais la complaisance du régulateur pour l’information mensongère des émetteurs aura été, du début à la fin du dossier Solocal Group, la condition de l’enrichissement sans cause des créanciers spécialisés.

« Bon appétit , Messieurs ! »

Pierre-Henri Leroy

16 janvier 2017


(1) 22 euros par action de l’époque soit l’équivalent de 660€ aujourd’hui après regroupement de trente actions pour une détenue en 2015

(2) 0,50€ par action soit l’équivalent de 15€ aujourd’hui après regroupement de trente actions pour une détenue en 2015

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Par |2017-01-18T19:51:27+01:0001/18/2017|Actualités, Droit des sociétés, Gouvernance-BOD|Commentaires fermés sur Il faut réglementer le marché de la dette et les LBO

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