ObligUn projet d’ordonnance récemment soumis à consultation par le Trésor entend, pour favoriser le développement des émissions obligataires, simplifier notre droit financier au nom de l’attractivité de la place et de la sécurité juridique des émetteurs. Il entend assouplir, nous dit–on, les émissions destinées aux investisseurs qualifiés en permettant à toute émission d’obligations de déroger d’une part à la règle de la constitution automatique d’une masse susceptible de protéger les investisseurs, et, d’autre part, sans surprise, de recourir à la seule langue anglaise pour le contrat obligataire.

Ce projet va, nous semble-t-il, beaucoup plus loin dans la licence, car il affaiblit notamment grandement la protection des premiers obligataires au profit des derniers venus (cf. articles 5, 11 et 17 du projet). La protection légale originale de ce titre de créance, essentiel comme ressource de base du financement à taux fixe des entreprises, nous semble ici injustement sacrifiée sur l’autel de la sacro-sainte simplification. On s’en étonner d’autant plus que nos grands argentiers entendent encourager le financement « par le marché » et que nos entreprises, souffrant de la carence des banques, recherchent effectivement une solution dans l’apport de fonds direct par internet, le «crowd-lending».
Or, chacun sait que les banques réservent depuis trente ans le marché obligataire à leurs propres filiales de gestion (on dit aujourd’hui « asset-management ») et aux investisseurs institutionnels : l’investissement à taux fixe et, plus généralement, la culture des taux ont ainsi gravement régressé chez les épargnants français, au profit sans doute des paris sportifs et de l’achat d’immobilier… A l’heure de la disparition des dépôts rémunérés et des livrets d’épargne, quand l’Internet ouvert mais peu protecteur permet de remettre en contact emprunteurs et épargnants, il semble vraiment paradoxal , voire irresponsable, de déréglementer intégralement les émissions obligataires.

En bref, si l’on peut raisonnablement se dispenser de la signature du Ministre des finances pour toute émission d’obligations, il ne semble pas opportun de priver les épargnants comme le financement de notre économie d’un titre réglementé, quand cet instrument est et sera légitimement demandé par les entreprises et par les investisseurs. Au lieu de vider ici de sa substance juridique le vocable d’« obligation » pour seulement faciliter la vie des intermédiaires ou de certains grands emprunteurs, il faudrait au contraire, pensons-nous, que cette réforme offre un cadre protecteur à tous comme aux intervenants du crowd-lending.

Cette réforme inattendue survient d’ailleurs aussi alors que quelques affaires de surendettement ont marqué les esprits : les opérations de reprise d’entreprise à fort endettement ou LBO restent fréquentes du fait de la baisse des taux et de l’appétence des banques pour les opérations de gros.

Les représentants des épargnants ont sur ce point souvent déploré que la décision d’émettre des obligations ait été, il y a quinze ans , pour simplifier encore une fois, retirée à la compétence de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires. Cette licence aura exposé de façon plus sensible les sociétés et leurs salariés aux situations d’endettement abusif de type émission de dette en vue de paiement de dividendes, parfois fictifs, dans le cadre de reprise à fort effet de levier, dits LBO. A qui profite le crime ?

Ce projet d’ordonnance, révélateur des dérives actuelles de la banque universelle, réserve aussi, dans son article 17, l’arbitrage sur le marché secondaire des obligations aux seuls établissements de crédit ou entreprises d’investissement, secteur déjà pourtant très largement privilégiés. Une telle faveur semble évidemment injustifiable.

Aux antipodes de cette malheureuse entreprise de démolition, on souhaiterait que cette ordonnance mette de l’ordre dans le système financier. Il faudrait ainsi mettre fin à l’effet pervers des clauses d’accélération de remboursement des obligations, clauses ou « covenants » reposant non pas sur des conditions strictement économique ou financières, mais sur les éléments d’évolution de la gouvernance et qui soumettent alors la direction de l’entreprise à la volonté de ses créanciers. De telles situations ouvrent la voie, on l’a vu dans le dossier Solocal Group, à la prise de contrôle rampante par les derniers créanciers, au risque pour eux de se voir qualifiés de gérants de fait. Le changement de contrôle d’une entreprise ou l’évolution de la composition de son conseil d’administration ou de sa direction ne sauraient constituer une clause valide d’accélération, si celle-ci a pour effet, direct ou indirect, d’entraver, voire d’empêcher, la révocation des administrateurs, et plus généralement d’octroyer une sorte de droit de veto à des tiers non actionnaires leur permettant d’empêcher la prise de décisions par l’assemblée générale ou par le conseil. A tout le moins, de telles clauses, aujourd’hui quasiment occultes, devraient être soumises à l’approbation préalable par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de l’émetteur et figurer pour être validement reconnue, au rapport annuel décrivant la gouvernance de la société émettrice.

Un marché financier sain suppose donc que les principaux intervenants c’est-à-dire la société qui emprunte, ses actionnaires et ses créanciers obligataires soient, à leur niveau, justement protégés par des droits clairs. L’intérêt des ingénieurs financiers intermédiaires, qui touchent une commission de placement sans garder aucun risque, ne saurait primer sur l’équilibre souhaitable des forces entre les trois acteurs qui demeurent, eux, en risque sur l’entreprise : actionnaires, salariés et épargnants, ayants droit de dernier ressort du service des obligations.

Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest

 

Article original publié sur l’ agefi.fr le 17 mars 2017

 

 

[wysija_form id= »1″]

Print Friendly, PDF & Email