Tandis que le devenir de la Deutsche Bank préoccupe la BCE après le départ du directeur général John Cryan en désaccord avec le président Paul Achleitner et remplacé par Christian Sewing, la Société générale doit, elle, se chercher un nouveau Directeur général délégué pour remplacer Didier Valet.

 

Après sa participation au trucage du taux Libor entre 2007 et 2009 pour laquelle elle a été condamnée à près d’un milliard d’euros, amende transigée en mai 2017, la Société générale ajoute à deux autres soucis, une infraction de l’embargo américain sur Cuba d’une part, annoncée par le Monde dès 2014 et non soldée,  et une accusation d’escroquerie aux dépens du fonds Lybien LIA d’autre part,  un quatrième problème: elle a systématiquement minoré son taux de refinancement transmis entre mai 2010 et octobre 2011 par sa Direction financière à l’agence Thomson-Reuters, le gestionnaire du taux Libor…

 

Négligeable, dérisoire, diront certains: « Nos banques européennes sont solides et irréprochables »:  « Bien que l’impact financier des litiges ne puisse pas être déterminé avec certitude, la banque dispose dans ses comptes au 31 décembre 2017 d’une provision pour litiges d’un montant de 2,3 milliards d’euros conformément aux normes IFRS. Au sein de cette provision, environ 1 milliard en contre-valeur euro est alloué aux dossiers IBOR et LIA. », indique la Société générale.

La banque confirmait aussi de façon confuse ce 15 mars 2018 que la justice américaine avait exigé la démission le Directeur général délégué de la Société Générale, Didier Valet, jusqu’ici probable successeur du président Frédéric Oudéa et, comme ce dernier, ancien directeur financier du groupe … Les « mensonges sauveteurs » de la banque entre 2008 et 2011, soumise alors à la tourmente des affaires subprimes et Kerviel, peuvent donner lieu, comme l’indique la banque dans son communiqué à des « différences d’appréciation »… mais « Dura lex sed lex », rien n’y fera, :  il n’est ni légal, ni prudent, ni sans doute moral, de sauver sa banque et ses bonus en trompant les confrères ou en abusant clients et épargnants…

 

Notre Banque Centrale Européenne, qui, du point de vue du risque systémique semble satisfaite du modèle de banque universelle, s’inquiète avec raison de la gouvernance de nos banques. Souci opportun puisque les rémunérations  bancaires devraient exploser pour 2017  : Deutsche Bank a ainsi versé des primes pour un montant total de 2,3 milliards d’euros au titre de 2017, quatre fois plus que l’année précédente, malgré une nouvelle année de perte nette, se chiffrant à 751 millions d’euros. Ironie de ce modèle, les dirigeants de Deutsche Bank, eux, seront privés de prime, sauf celui qui s’en va avec 8,7 millions d’euros pour son départ, retraite comprise, après trois années de pertes d’affilée et un salaire annuel de 3,4 millions d’euros… Il est vrai que le cours de Deutsche Bank a baissé de 60% depuis cinq ans, tandis que l’empilement de ses risques inquiète le marché interbancaire…

Plusieurs autres grands banquiers européen dépasseront à titre personnel les 10 millions d’euros de revenu, et la BCE peut légitimement s’inquiéter  de ce que les banquiers prennent des risques inconsidérés  pour gagner plus.

 

Il appartient aux actionnaires de ces banques de s’interroger sur ces  rémunérations, mais c’est bien aussi aux régulateurs français et européens comme aux politiques de s’interroger sur l’origine de la richesse si facile des banquiers. Les activités de marché des banques universelles comme Deutsche Bank ou Société générale reposent sur le crédit faiblement pondéré que leur octroie la garantie explicite et implicite des Etats, une garantie pourtant indue puisque la plupart de ces opérations,  lorsqu’elles ne portent pas sur les changes ou les taux d’intérêts, n’ont rien à voir avec le financement de l’économie.

 

Le paradoxe surréaliste est que, suite à la loi Moscovici en France, les opérations spéculatives en compte propre des banques françaises, celles qui génèrent ces profits risqués, devaient selon la loi être cantonnées dans une filiale à 100% de leur groupe: une comédie réglementaire que nos banquiers ne se donnent même plus la peine de jouer! En réalité, nos ministres et députés ont permis aux grandes banques par cette parfaite mystification parlementaire de maintenir pleinement leurs métiers spéculatifs confondus sous la toujours précieuse garantie des contribuables.

Dans ce cadre général laxiste, que nous devons à la médiocrité des politiques successifs, la Banque Centrale Européenne se contente des outils dont elle dispose : les stress tests sur les risques avoués d’une part et  l’incantation à la meilleure gouvernance au niveau des conseils d’administration des banques de l’autre.

La Tribune nous indique sous la plume de Delphine Cuny le 16 avril que la BCE  a demandé le coût potentiel du dénouement de ses positions de trading à la Deutsche Bank, laquelle envisageait depuis plusieurs mois de réduire la voilure dans la banque de financement et d’investissement. Il s’agit selon la banque centrale d’un exercice anodin de « revue des coûts de réduction progressive« …Diverses départs au sommet de la banque à Londres et Francfort inquiètent…

Sur la gouvernance et la composition des conseils de banque,  Madame Danièle Nouy, présidente de la Supervision à la Banque Centrale Européenne insiste  sur la sélection d’administrateurs de haute compétence, leur nombre restreint, leur disponibilité, leur indépendance:  « Board members need to be independent thinkers »

Madame Nouy nous dit même que ses services sont capables d’apprécier l’indépendance d’esprit des administrateurs dans leurs appréciations de banques qu’elle supervise: « We assess independence of mind in our fit and proper assessments, for instance. And as part of the ongoing supervisory dialogue, we also assess whether a bank’s internal governance and risk culture are suited to making the most of such independence. »

 

Il nous faut lui souhaiter bon courage !

 

Il est touchant d’observer la foi persistante des superviseurs – naïveté ou cynisme? – dans la plus haute compétence et la plus haute intégrité des administrateurs de banques pour limiter les bulles et les abus produits par les structures très complexe de leurs groupes. Or, c’est le modèle sous-jacent qui produit ce mélange explosif incontrôlable et « indétricotable » de conflits d’intérêts et de cupidité. L’exemple de l’implication très grave à divers niveaux de BNP Paribas dans la formidable escroquerie Madoff, alors même qu’à plusieurs lieux de ce même groupe on criait « au loup », démontre le caractère ingérable des banques universelles. Ni la meilleure gouvernance du monde, ni la capacité intellectuelle des meilleurs « X inspecteurs des finances », et ni l’implication personnelle des plus honnêtes d’entre eux n’y feront.

Certes, la BCE pousse d’excellentes idées de gouvernance en matière de contact direct entre le conseil d’administration de chaque banque et les fonctions de contrôle et de crédit , sur l’alignement des rémunérations sur le cadre d' »appétit pour le risque » -, sur une meilleure qualité des données et sur l’agrégation systématique des risques.

 

La BCE nous dit que les défis du moment pour le monde bancaire que sont la baisse des profits, le développement  nouvelles technologies et la nouvelle concurrence, mettent à l’épreuve le cadre de gouvernance des banques . « The current challenges put governance frameworks to the test. » Mais n’est-ce pas là une profonde erreur d’analyse de la part du superviseur? N’est-ce pas plutôt le modèle interne des banques universelles, fondé sur les conflits d’intérêts et la concurrence déloyale, qui limite l’effet des efforts de meilleure gouvernance ?

 

Madame Nouy termine son exposé sur le sérieux et la sévérité de la mission  de la BCE axée sur le contrôle du risque des banques européennes, incluant de nombreux et coûteux volets, comme le dialogue entre superviseurs, les inspections sur site,  les missions thématiques et  « plongées en eaux profondes »,  l’usage du portail STAR  pour les stress-tests, enfin le processus sévère d’autorisation des nouveaux entrants…

 

Mais comment serions-nous rassurés ?

 

Certes, c’est bien le politique qui a enterré ces dernières années toute mise en cause de ce système bancaire inefficace, explosif et injuste. Mais, n’est-ce pas aussi aux superviseurs qu’il revient de mettre en question le cadre bancaire général, comme Benoit Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, a dans le passé, posé la question du modèle bancaire de banque universelle.

 

Madame Nouy, superviseur suprême, vous demandez sagement aux conseils d’administration des banques « d’entretenir une culture de débat qui valorise la diversité des points de vue ».

 

N’est-ce pas, Madame, l’occasion de débattre au niveau de la BCE de l’incidence d’un coût du crédit quasiment nul pour la spéculation interbancaire en Europe ?

 

Cordialement.

Pierre-Henri Leroy

Président

Proxinvest

www.proxinvest.fr

(Voir Banque centrale européenne Conférence sur la supervision bancaire , “Governance expectations for banks in a changing financial environment”, Francfort 22 March 2018,  Danièle Nouy, Chair of the Supervisory Board of the ECB  « Good governance for good decisions »)

WWW.ecgs.net

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