La presse financière parisienne n’est pas très exhaustive lorsqu’elle se contente d’expliquer, comme les Echos, que le « package » de Carlos Ghosn s’élève à 7,2 millions d’euros pour 2014. Le chiffre réel dépasse le double.

Ce journal  nous fait tout de même l’honneur de citer le Président de Proxinvest : « Carlos Ghosn va devenir le recordman des patrons les mieux payés de France, avec des montants pharaoniques qui n’obéissent qu’à des critères flous ». La Lettre Conseil sera disponible  on line sur notre Proxinvest  Shop.

A la lecture de la page 142  du document de référence mis en ligne le montant total pour 2014 dépasse 15 millions d’euros,  à moins que les Echos ne considèrent que le PDG travaille à mi-temps seulement  pour Renault puisqu’il préside aussi le groupe japonais Nissan. En effet, Renault présente une rémunération totale due au titre de 2014 et approuvée par son conseil pour 7,2 millions d’euros, contre 2,67 millions d’euros en 2013. un paragraphe indique par ailleurs qu’il a perçu, aussi, mais l’année précédente une rémunération fixe très supérieure au titre de Nissan : 995 millions de yens au titre de 2013, soit 7,6 millions d’euros…

L’excellent Carlos Ghosn a donc perçu près de 15 millions d’euros ou 850 SMIC pour un dirigeant, et même sans doute plus, puisque sa dotation d’actions gratuites évaluée 4,1 millions d’euros par Renault vaut aujourd’hui 8 millions d’euros hors conditions de performance, lesquelles conditions demeurent invérifiables…

L’information donnée en yen par Renault depuis quelques années sur la rémunération japonaise n’est  ni claire,  ni conforme à la loi française qui demande « compte  de la rémunération totale et des avantages de toute nature versés, durant l’exercice, à chaque mandataire social./..a reçu durant l’exercice de la part des sociétés contrôlées au sens de l’article. 233-16. »,  ni conforme aussi au fameux  Code AFEP Medef pour lequel l’Exhaustivité est le premier des principes de détermination de la rémunération  des dirigeants mandataires sociaux et son guide d’application ( « Si la rémunération des dirigeants mandataires sociaux est versée par une société tierce, qu’il s’agisse ou non de la maison-mère ou d’un actionnaire de référence, et qu’elle soit ou non refacturée en tout ou en partie à la société cotée, l’information à ce sujet doit néanmoins être exhaustive. »)

Clairement la rémunération versée par Nissan en 2013 ou 2014 n’est pas approuvée ni considérée par le conseil de Renault, dont c’est pourtant la mission légale, ni par son Comité des rémunérations  qui officiellement refuse d’apprécier l’ensemble des rémunérations et des avantages perçus y compris, le cas échéant, par d’autres sociétés du Groupe, par le PDG . Ce comité manque donc totalement à sa mission telle que définie par l’article 18.3 du code :   « permettre de placer le conseil d’administration dans les meilleures conditions pour déterminer l’ensemble des rémunérations et avantages des dirigeants mandataires sociaux »

Il semblera acceptable à beaucoup , sur fond d’amélioration des résultats, « free cash-flow », de la marge opérationnelle et du résultat net,  que la part variable due au PDG au titre de 2014 progresse de 31 % à 147,5% de la part fixe, les critères quantitatifs étant pleinement satisfaits et les critères qualitatifs satisfaits  à 96% des attentes (quel talent!) …

Toutefois c’est dès février 2014, bien avant l’amélioration des résultats, que le conseil , lui avait consenti 100 000 actions gratuites évaluées aujourd’hui 4,1 millions d’euros…Et pour 2015 il lui a déjà promis encore 100 000 actions dites de performance, dotation indexée pour un tiers sur le free cash flow (sans autre précision), pour un tiers  sur la variation de la marge opérationnelle automobile en point de pourcentage par rapport à un panel,  (PSA auto, Fiat auto EMEA, VW Brand et Skoda Brand), et pour un tiers sur le total share return (TSR) .

C’est vrai que Renault sur la base de la remarquable stratégie initiée par le prédécesseur de Carlos Ghosn,  fait un très joli parcours, mais le moteur du PDG actuel n’est pas un modèle de sobriété! Le conseil d’administration et le comité des rémunérations de Renault semble en tout cas envoyer paître leurs actionnaires qui avaient pourtant contester à 36% la rémunération, une opposition exceptionnelle au sein d’une première année de « Say On Pay » clémente. 

MARS 2015

On verra ci-dessous la letter adressée par Proxinvest à l’AMF en juin 2015 sur l’information donnée par la société sur cette rémunération.

 

Paris, le mardi 2 juin 2015

 

Autorité des Marchés Financiers

A l’attention de Monsieur Benoît de Juvigny

Secrétaire Général

17 place de la bourse

75082 Paris cedex 02

 

Objet : questions de PROXINVEST à l’AMF sur la communication de la société sur la rémunération du PDG.

 

Messieurs,

Depuis plusieurs années nous contestons publiquement la qualité de l’information donnée par Renault sur la rémunération de son Président directeur général dans son document de référence.

Nous renouvelons ici auprès de l’Autorité des Marchés Financiers nos questions sur la sincérité, l’exhaustivité et la régularité de cette information mais nous souhaitons aussi attirer l’attention du régulateur sur la désinformation associée à la présentation de la neuvième résolution de l’assemblée générale, qui soumettait à l’avis consultatif des actionnaires quelques éléments choisis de la rémunération de M. Carlos Ghosn, dus ou attribués au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2014.

 

1/ Sur la régularité des informations communiquées :

 

L’article L 225-102-1 exige des sociétés d’indiquer le montant des rémunérations et des avantages de toute nature que chacun de ses mandataires a reçu durant l’exercice de la part des sociétés contrôlées au sens de l’article L. 233-16 … »

Or la page 241 du document de référence de Renault se contente de mentionner  une Rémunération en yen pour 2012 et 2013 en qualité de Président-Directeur général de Nissan Motors Co., Ltd[1]. , ne cite aucun chiffre pour 2014, chiffres évidemment connus par l’intéressé, et n’inclut aucunement ces éléments très substantiels (environ 7 millions d’euros par an)  dans la ligne « Total » d’aucun des deux tableaux de synthèse présentés plus haut sur cette page.

 

A la lecture de l’article L. 233-16 on comprend pourtant que Nissan Motors, détenue à 43,7%par Renault qui en détient 43,4% des droits de vote répond  parfaitement non pas à une seule mais à plusieurs des situations alternatives posées par la loi pour la notion de contrôle au sens de cet article :

– -contrôle exclusif : est établi par la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise. La société consolidante est présumée avoir effectué cette désignation lorsqu’elle a disposé au cours de cette période, directement ou indirectement, d’une fraction supérieure à 40 % des droits de vote, et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détenait, directement ou indirectement, une fraction supérieure à la sienne.

–  contrôle conjoint : suppose le partage du contrôle d’une entreprise exploitée en commun par un nombre limité d’associés ou d’actionnaires, de sorte que les décisions résultent de leur accord).

– influence notable : celle-ci est présumée lorsqu’une société dispose, directement ou indirectement, d’une fraction au moins égale au cinquième des droits de vote de cette entreprise.

Dès lors les développements de la page 279 du document de référence  de Renault sur la raison des choix de méthodes de consolidation du groupe Nissan Motors par Renault  n’affectent aucunement à nos yeux  les obligations formelles d’information de Renault au titre des deux articles ci-dessus cités.

 

 

2/ Sur la lisibilité et l’exhaustivité des informations communiquées au marché

 

Les « tableaux récapitulatif des rémunérations de M. Carlos Ghosn »  en page 241 du document de référence présentent deux tableaux portant deux totaux successifs, l’un dit de « Synthèse des rémunérations et des options et actions attribuées à M. Carlos Ghosn (selon les recommandations Afep/Medef)» avec un Total de  7 219 830€ pour 2014 , suivi d’un tableau  «rémunération totale du Président-Directeur général versée par Renault SA et les sociétés qu’elle contrôle » pour un Total dû de 3 098 509 € pour 2014.

 

Les éléments communiqués sur la rémunération versée par Nissan Motors  en 2013 permettent, après conversion d’un montant probable en yen, d’évaluer à un minimum de 14 millions d’euros la rémunération totale actions gratuites  comprises consentie par le groupe Renault à son PDG pour 2014.

 

La présentation d’éléments de rémunération en yen dont la nature n’est pas donnée et qui ne sont pas additionné au total constitue une première incohérence. Mais le même document  introduit une autre incohérence avec une  présentation différente en page 354 des éléments de rémunération soumis au vote dans la neuvième résolution de l’assemblée générale (toujours « conformément à la recommandation 24.3 du Code Afep/Medef ).

 

Ces éléments ne reprennent pas les tableaux de totalisation de la page 241 mais citent deux fois de suite la rémunération variable différée de 1 360 687 €, sans citer en revanche la valorisation comptable des actions de performance attribuées au cours de l’exercice pourtant indiquée plus avant pour 4 M€. Il n’y figure aucune référence à une rémunération payée par Nissan Motors.

 

De ce fait,  la totalisation inexacte à laquelle est porté l’actionnaire convoqué en assemblée générale pour la rémunération  de M. Carlos Ghosn soumis à son vote  n’est plus que de 4,4 M€…

 

La conséquence de ces incohérences intentionnelles apparaît dans la presse avec le palmarès des rémunérations des dirigeants du CAC40 présenté par le quotidien Les Echos. Pour la rémunération de Carlos Ghosn chez Renault, gros annonceur, c’est un chiffre inattendu de 3 millions d’euros qu’affirmera le rédacteur des Echos Nicolas Barré sur Europe 1 le mercredi 29 avril au matin, deux jours avant l’assemblée générale. Il faudra attendre dix jours pour que le numéro du 12 mai mentionne en page 8 «  plus de 15 millions d’euros au titre de 2014 pour Renault et Nissan ».

Quoique s’agissant d’un indicateur devenu important de la gestion des sociétés cotées, la rémunération du principal dirigeant, peut, certes, donner lieu à certains écarts d’évaluation. Mais ici l’écart observé entre les 14 millions de Proxinvest et les 3 millions des Echos semble démontrer que la société a sciemment présenté une information ni lisible ni exhaustive.

 

3/ sur la conformité avec le Code de référence :

 

Contrairement à la recommandation 18 du Code Afep/Medef de Gouvernement d’entreprise auquel la Société se réfère, le Comité des Rémunérations de Renault ne semble pas traiter «  l’ensemble des rémunérations et avantages des dirigeants mandataires sociaux ». Pourtant, dans sa description de mission, le comité de Renault entend « permettre de placer le conseil d’administration dans les meilleures conditions pour déterminer l’ensemble des rémunérations et avantages du dirigeant mandataire social » et « apprécier l’ensemble des rémunérations et des avantages perçus, y compris, le cas échéant, d’autres sociétés du Groupe, par les principaux dirigeants non mandataires sociaux, en particulier les membres du Comité exécutif…. ».  Et c’est bien à ce Comité, qui s’est réuni deux fois en 2014, que l’on doit le très partiel tableau récapitulatif des éléments de rémunération du Président-Directeur général en vue du vote consultatif des actionnaires.

 

Le manquement principal à la conformité concerne bien évidemment l’Exhaustivité demandée par le Code dans sa recommandation 23.1 renouvelée par la recommandation 24 : « Une information très complète doit être donnée aux actionnaires afin que ces derniers aient une vision claire, non seulement de la rémunération individuelle versée aux dirigeants mandataires sociaux, mais aussi de la politique de détermination des rémunérations qui est appliquée. »

La recommandation 24.3 sur la Consultation des actionnaires sur la rémunération individuelle des dirigeants mandataires sociaux exige enfin que celle–ci porte sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant mandataire social y compris les « avantages de toute nature ».

 

Alors que la recommandation 25 demande que la société fournisse une explication lorsqu’une recommandation n’est pas appliquée, l’omission de la rémunération versée par Nissan Motors n’est nulle part justifiée dans le document.

 

Nous observons que le Haut Comité du Gouvernement d’Entreprise dans son rapport d’octobre 2014 n’a pas explicitement évoqué le cas de Renault mais produit un chapitre dit « Rémunérations par contrats de services » bien applicable au problème posé par la demi-omission de la rémunération versée par Nissan Motors :

 

« Le Haut Comité a constaté que la rémunération des dirigeants de certaines sociétés est versée par une société tierce./.. Ce procédé peut être justifié dans des cas exceptionnels, notamment quand le dirigeant consacre une partie de son temps à la gestion de cette société tierce, si les intérêts de celle-ci sont suffisamment alignés avec ceux de la société cotée pour qu’il n’y ait pas de risque de conflit et si cette gestion ne réduit pas significativement la disponibilité du dirigeant.

« Encore faut-il que l’information donnée aux actionnaires soit suffisamment claire et précise, ce qui n’est pas toujours le cas. Le fait que la rémunération ne constitue pas une charge directe pour la société n’est pas une raison de ne pas la décrire précisément. Les actionnaires doivent pouvoir s’assurer que les mécanismes incitatifs liés aux performances de leur société sont bien en place, et que la rémunération globale n’est pas excessive, ne serait-ce que pour que l’image de leur société n’en pâtisse pas.

« Il faut donc faire apparaître clairement la répartition éventuelle des activités du dirigeant en faveur des deux sociétés, et toutes les informations qui permettent de s’assurer que les conditions stipulées par le Code sont bien respectées. »

 

Le HCGE souligne par ailleurs que «  le degré de précision des informations soumises aux actionnaires à l’appui du projet de résolution consultative ainsi prévu par l’article 24.3 du Code, a parfois été insuffisant. »

 

 

Nous vous remercions donc par avance de vos éclairages sur ces questions et vous prions, Messieurs, de recevoir l’expression de nos sentiments cordiaux.

 

 

 

Pierre-Henri Leroy                     Loïc Dessaint

Président                                Directeur général

[1] Conformément aux informations publiées par Nissan les 30 juin 2013 et 30 juin 2014 dans son document annuel Yukashoken-Hokokusho pour, respectivement, l’exercice fiscal 2012 (du 1er avril 2012 au 31 mars 2013) et l’exercice fiscal 2013 (du 1er avril 2013 au 31 mars 2014), la rémunération totale que M. Carlos Ghosn a reçue au titre de ses fonctions de Président-Directeur général de Nissan Motors Co., Ltd. était de 988 millions de yens pour l’exercice fiscal 2012 et 995 millions pour 2013.

 

 

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