Observations d’ECGS sur la conformité aux codes de référence / Août 2014

ECGS considère comme la Commission que des entreprises de bonne gouvernance sont susceptibles d’être à la fois plus compétitives et plus viables à long terme, et que la meilleure gouvernance étant par nature complexe ne saurait relever de seuls textes réglementaires. Les questions qui sont laissées au code de gouvernance connaissent une réponse généralement recommandée mais dans certaines circonstance une ou plusieurs autres bonnes réponses alternatives possibles.

Les sociétés cotées et autres tirent le meilleur bénéfice de cette souplesse de recommandations non contraignantes destinées à créer un consensus sans alourdir la vie des sociétés, et sans établir de règles nouvelle générale parfois mal adaptée ou peu expérimentée.

L’obligation qui est faite aux sociétés cotées par la directive d’inclure une déclaration sur le gouvernement d’entreprise dans leur rapport de gestion a heureusement conforté le mouvement général des sociétés européennes qui apportent désormais de très abondantes réponse aux questions de gouvernance de contrôle interne de gestion de risques. De même la demande mais non l’obligation réglementaire qui est faite aux sociétés de commenter leur conformité ou leur dérogation semble excellente pour les raisons de souplesse expliquée et de sens de la responsabilité, ce que précise très justement la Recommandation.

La Recommandation insiste sur le besoin d’information de grande qualité tant il est vrai que le cadre par essence facultatif du « comply or explain » autorise des réponses parfois stéréotypée ou des pétitions de principes peu personnelles de la part de certaines entreprises.

ECGS, qui relève en permanence certains manquements à l’information requise par la procédure « comply or explain » ne peut que convenir du rappel qui est fait dans l’alinéa 19 de la Recommandation d’ un certain manque de contrôle/vérification des déclarations des sociétés. Surtout ECGS souscrit pleinement à la recommandation qui rappelle dans son alinéa 20 que c’est aux actionnaires qu’il convient d’assurer le contrôle actif de la qualité de l’information.

Ainsi, comme toute agence de notation et peut-être plus sévèrement, les agences de conseil de vote associées au réseau ECGS font grand cas d’apprécier la qualité du commentaire que chaque société peut donner de telle ou telle dérogation à son code de référence.

C’est même, dans les cas extrêmes le travail du président dans son rapport sur la gouvernance et le contrôle interne, ou celui des commissaires aux comptes qui l’ont visé sans remarque qui sont mis en cause par nos analystes. Certaines positions considérées comme abusives ou même trompeuses peuvent conduire à des recommandations de vote négatives sur la « décharge » nom que nos voisins francophones donnent au quitus, voire sur les comptes sociaux ou lors de la réélection d’un président de conseil ou d’un président de comité spécialisé. Il en est souvent de même pour le vote d’approbation de la rémunération des dirigeants, ou Say on Pay, lorsque la rémunération ne respecte pas les recommandations de place et les motifs de non-conformité sont insuffisants. Ces manquements au juste commentaire sur une non-conformité peuvent dans un cas extrême porter à l’opposition au renouvellement du président du conseil ou du président d’un comité spécialisé responsable de la matière.

Les agences du réseau ECGS relèvent que les manquements graves sont heureusement rares et que la plus grande part des manquements procèdent soit de négligence ou d’omissions volontaires destinées à améliorer l’image de l’entreprise. Ces manquements constituent alors pour les actionnaires, leurs analystes et leurs conseils des signaux faibles non négligeables.

La réponse à ces signaux faibles sera donc constituée du signal faible du vote négatif de certains investisseurs, souvent minoritaires mais parfois nombreux. Dans un tel domaine qui veut faire la place aux circonstances, c’est donc bien aux actionnaires qu’il faut s’en remettre en matière de contrôle de la gouvernance puisque tout aussi bien ils seront les premiers à toucher les bénéfices d’une bonne organisation et les premiers à souffrir d’une médiocre gouvernance.

Il appartient ainsi aux actionnaires donc à leurs entreprises de service d’aide à l’investissement, à leur analystes financiers indépendants, aux sociétés de conseil de vote, comme aux journalistes de savoir apprécier la qualité du commentaire entourant la conformité ou la non-conformité à certains points du code de référence adopté par chaque société.

La Recommandation de la Commission européenne reconnait qu’elle ignore la bonne façon de forcer toutes les sociétés à apporter de bonnes explications, franches, sincères et complètes. La perfection n’est effectivement pas de ce monde et il en est ici en matière de gouvernance comme en matière d’information financière classique.

Propositions d’ECGS sur le recours aux codes de référence

Ceci posé, ECGS souhaiterait de ce fait attirer l’attention de la Commission sur trois problèmes importants.

1/ Les conditions d’établissement du code de référence de place actuellement en vigueur dans certains pays, comme la France, ne sont pas impartiales, ce qui conduit à demander que codes de Gouvernance de référence des sociétés cotées reposent sur un fondement plus large que la seule communauté des émetteurs.

2/ D’autre part, l’importance prise par la conformité aux recommandations de Gouvernance de type « comply or explain » menace aujourd’hui le respect et le contrôle de l’application des lois et règlements par les différents acteurs du marché sans menacer gravement l’intégrité des marchés : la « compliance » aux codes de recommandations et son contrôle ne doit jamais prendre la place du respect et du contrôle des prescriptions légales et règlementaires.

3/ Quoique les codes de bonne pratique puissent se référer aux règles impératives en vigueur, il convient pour éviter toute confusion, que toutes leurs prescriptions ou recommandations demeurent facultatives et qu’aucune ne soit jamais qualifiée d’obligatoire. La seule obligation attachée à ce type de code est de s’expliquer en cas de non application. En bref, pour ECGS, la «soft law» doit toujours être non-obligatoire tandis que le droit positif doit demeurer obligatoire et être mis en application.

1/ Les codes de Gouvernance de référence des sociétés cotées doivent reposer sur fondement plus large que la seule communauté des émetteurs

Les codes de référence doivent rassembler les intérêts mixtes et non les seuls intérêts des dirigeants. Il est regrettable, eu égard au fort déséquilibre des forces du marché reconnu par la Commission,entre Buy-side et Sell-side, qu’il n’y ait pas de recommandation sur la façon dont devrait être rédigée un code de référence de place (équilibre entre les différents rédacteurs : émetteurs, investisseurs, universitaires, autorités publiques, etc…). Le code britannique FRC est réalisé par un personnel composé d’anciens fonctionnaires et adopté après consultations publiques par un conseil composé de représentants de sociétés émettrices et d’investisseurs. Par contraste, le code italien est écrit par un comité de gouvernance d’entreprise établi dans la Borsa Italiana, qui comprend des représentants des associations d’émetteurs et les gestionnaires d’actifs (Assogestioni), plus Borsa Italiana mais les investisseurs directs particuliers ou fonds de pension ne sont pas invités. La rédaction du Code unifié espagnol exclut les investisseurs du comité de rédaction, qui comprend des représentants du gouvernement, la Banque d’Espagne, des émetteurs et des universitaires. En France, le code AFEP Medef, lancé en 1995 par les seules sociétés émettrices a pour la première fois en 2013 consulté en privé certains représentants des investisseurs, dont Proxinvest, mais ne s’est évidemment pas tenue obligée d’en tenir compte, ce qui est légitime, puisque ce code porte le nom des organisations signataires. . Pour ECGS , un code de place de bonne gouvernance, devrait être rédigé par la coopération équilibrée entre les deux côtés du marché financier, émetteurs et investisseurs, avec la participation éventuelle plus modeste de fonctionnaires et d’universitaires.

2/ La « compliance » aux codes de recommandations et son contrôle ne saurait prendre la place du respect et du contrôle des prescriptions légales et règlementaire

Le développement international de codes de gouvernance est salutaire et a sans doute joué un rôle positif dans l’évolution des comportements. Ces standards de bonne pratique », règles accessoires du droit positif constitué par la loi ou du règlement, permettent d’éviter d’encombrer les codes positifs de règles détaillées souvent accessoires, susceptible de fréquents changements et s’appliquant à des sociétés de taille et d’ancienneté très différentes. Le mérite des codes de recommandation facultatif est précisément cette souplesse, et il revient aux acteurs privés d’effectuer eux-mêmes la surveillance de l’exercice de conformité de chaque société. Il est d’ailleurs heureux et souhaitable qu’à ‘occasion de litiges privés l’avocat ou le juge citent ces catalogues de bonnes pratiques facultatives qui permettent de situer les sensibilités ou la gouvernance comparée des parties.

Toutefois, l’entrée très influente du régulateur des marchés dans ces domaines n’est pas neutre : elle présente au moins deux graves inconvénients.

D’abord les prises de position du régulateur sur telle ou telle recommandation de gouvernance tend à transformer une recommandation de place souple en une recommandation du régulateur, perçue alors à tort ou à raison comme réglementaire, ce qui semble contre-productif.

Plus gravement, l’intérêt que porte le régulateur à ces matières peut avoir des conséquences sur l’application normale des règles de droit connexes, ce qui pose déjà, à notre avis , un vrai problème dans l’application de la règle de droit.

En France, Proxinvest s’est ainsi d’abord ému auprès de l’AMF que son « Rapport annuel sur la gouvernance et la rémunération des dirigeants », établi en application de la loi de 2009, examine l’application ou la non-application d’un texte facultatif et , on l’a vu plus haut, relativement partial, le code de référence de l’AFEP MEDEF. En Italie, un Comité CG composé pour l’essentiel de représentants des émetteurs est reconnu comme chargé de la surveillance de la conformité avec le Code. En Espagne, l’Autorité des marchés CNMV qui a comme l’AMF un pouvoir d’injonction aux sociétés sur l’information donnée au marché fait aussi un Rapport sur la gouvernance d’entreprise annuel, mais ne saurait prendre aucune mesure en cas de non-respect ou manque d’explications.

Il ne s’agit pas ici de contester la compétence large du régulateur en matière d’information et de respect des actionnaires ni sa parfaite légitimité à proposer le cas échéant une bonne pratique dans la sphère de la recommandation ou du réglementaire. Mais est-ce vraiment le rôle du régulateur de faire des vérifications et commentaires sur une application de règles

facultatives qui doit par nature rester libre? Pour ECGS cette compétence, légale, de l’AMF en matière de « contrôle de conformité d’application de recommandations facultatives», forme de « contrôle de conformité au droit mou » affaiblit les compétences et les moyens de contrôle du régulateur sur le respect des règles de droit positif, le droit « dur » par les émetteurs et des gestionnaires de fonds.

Or ce droit positif autrement plus important, du fait sans doute de la multiplicité des recommandations concurrentes plus ou moins facultatives et de la confusion ainsi créée, n’est pour ECGS jamais assez respecté en Europe par les sociétés cotées.

Proxinvest-ECGS a pris pour exemple les irrégularités fréquentes dans la pratique des conventions réglementées, celle de l’identification des actionnaires, celle des opérations des sociétés sur leurs propres titres. De même si l’on observe l’information sur les rémunérations, on observait par exemple que les deux banques cotées louées en 2013 par le rapport AMF pour leur conformité à leur code de référence avaient toutes deux impunément violé les règles légales en matière d’information des actionnaires tant pour le contenu dû aux actionnaires que pour les délais légaux de diffusion. Proxinvest présentait aussi le de certaines opérations liées ou de rémunérations dissimulés quelques années en violation de la loi NRE et deux exemples de sociétés qui ne donnent pas le variable versé au titre de l’exercice passé, violant à la fois et la loi et le code de référence : seraient-elles exemptes de l’application de la loi ou des règlements parce qu’elles auraient apporté une bonne explication à cette non-conformité ? …

Pour ECGS il n’est donc pas souhaitable que le régulateur s’implique dans la vérification de conformité aux recommandations « comply or explain » :ceci devrait rester de la seule compétences des acteurs privés du marché, en particulier les actionnaires et leurs analystes, et, pourquoi pas, des émetteurs : le rapport annuel de l’AFEP Medef sur l’application du code, récemment annoncé, a toute sa place.

3/ Les codes de bonne pratiques, destinés à compléter le corpus réglementaire applicable à caractère obligatoire, doivent pour ne pas créer de confusion ne contenir que des recommandations facultatives : seul le commentaire de la conformité à ces recommandations est obligatoire.

« Le point 2 des Dispositions générales en section 1 de la Recommandation de la Commission stipule:« Il est recommandé que, le cas échéant, le code de gouvernement d’entreprise établisse une distinction claire entre les parties de ce code auxquelles il ne peut pas être dérogé, celles qui s’appliquent selon le principe «appliquer ou expliquer» et celles qui s’appliquent sur une base purement volontaire. ».

Le mérite de la procédure choisie est de permettre aux entreprises de déroger à la meilleure pratique et de garder une approche souple de ces questions Par conséquent, introduire des éléments de recommandation obligatoire introduirait pour ECGS un élément de «rigidité» qui n’est pas cohérente avec l’objectif de codes de bonnes pratiques et en contradiction avec le principe de base «appliquer ou s’expliquer».

Par ailleurs, une subdivision des codes de bonnes pratiques en trois catégories de 6

dispositions obligatoires disposition facultatives mais devant être commentées et 3) les dispositions accessoires d’application purement libre et non commentée pourraient créer une confusion pour les intéressés et les observateurs. Les recommandations d’un code de bonne pratique venant compléter mais non rappeler la règle légale, sont des dispositions pratiques d’une même importance pertinence auxquelles les entreprises sont invitées à se conformer ou à s’en expliquer. Ceci n’exclut pas de créer des seuils d’application pour certaines de ces recommandations pour en exempter les plus petites sociétés.

Nous pensons que le point 2 dans sa rédaction actuelle pourrait s’avérer déroutant et nous suggérons donc à la suite de reformuler ce point 2 comme suit:« Il est recommandé que le code de gouvernement d’entreprise établisse une distinction claire entre les règles juridiques en vigueur auxquelles il ne saurait être dérogé, celles qui s’appliquent selon le principe «appliquer ou expliquer» et tout autre bonne pratique mentionnée à titre indicatif par le code qui n’exigeant aucune explication de conformité. »

En conclusion, il semble à l’ECGS que si les régulateurs doivent observer l’application des codes de référence, en particulier pour réduire ou accroître les exigences réglementaires en fonctions des comportements et des problèmes de marché, l’économie même du régime des codes « Comply or explain » devrait rester de nature privée. C’est aux sociétés et à leurs organisations professionnelles, aux actionnaires et à leurs agents qu’il convient de s’en remettre tant pour l’établissement équilibré des codes de bonne pratique que pour la vérification du travail de conformité des adhérents de ces codes. Ne plus commenter la pratique individuelle des sociétés ne saurait d’ailleurs empêcher les régulateurs de s’inquiéter, à l’occasion, de la gouvernance de tel ou tel émetteur. Les régulateurs nous semblent en droit d’exiger, le cas échéant, que la société nomme un « Corporate Gouvernance Monitor » agréée par le régulateur pour promouvoir de meilleures pratiques., comme l’ont récemment ordonné aux Etats unis le DOJ et la SEC aux sociétés Siemens ou Total.

En revanche, nous pensons que l’énergie et les compétences du régulateur doivent, dans l’intérêt de la protection des épargnants et de l’équilibre des marchés, rester exclusivement au service la loi et des règlements. Le régulateur peut certes avoir une opinion sur les questions de gouvernance, mais doit rester sur son piédestal et ne pas s’abaisser distribuer les médailles ou des mauvais points sur des pratiques facultatives. En revanche, lorsque c’est nécessaire, le régulateur doit savoir enjoindre, saisir la Justice ou éventuellement punir et veiller ainsi à la meilleure protection des épargnants sans un cadre réglementaire clair et connu de tous.

Août 2014

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