Dans une opinion publiée le 22 avril dans le journal Les Echos intitulé « la Loi Florange et le retour des actionnaires zappeurs« , Edouard Tetreau, fondateur de la société de conseil Mediafin et professeur à HEC, fait l’apologie du mécanisme des droits de vote double pour les actionnaires de plus de deux ans, « un début de réponse intelligente à ceux qui ne considèrent les entreprises que comme une machine à réaliser de la performance boursière immédiate » selon lui. Si les analyses d’Edouard Tetreau sont en général pertinentes, son opinion se construit ici à partir d’un certain nombre de raccourcis et un manque de connaissances techniques du monde des assemblées générales qui génèrent cette conclusion erronée. Le droit de vote double est une fausse bonne idée en quelque sorte, reprise un peu trop souvent et rapidement par certains chroniqueurs.

Il conviendrait en effet tout d’abord de noter que les machines et logiciels du « high frequency trading » ne votent pas. Les personnes qui votent sont de vrais actionnaires, pas des machines. C’est d’ailleurs l’absence d’exercice des droits de  vote par les « high frequency traders » qui explique les taux de participation faibles observés dans les assemblées générales, ce qui rend les prises de contrôle plus aisées pour certains gros actionnaires et ceci d’autant plus facilement si un mécanisme de droit de vote double est en place.

La bourse est devenue ainsi un simple jeu où certains gros intérêts essaient d’exercer une influence disproportionnée (postes au conseil,…) sans en payer le réel prix de l’investissement en actions.

Les conclusions de l’article discréditent l’engagement d’actionnaires minoritaires, dont les clients de Proxinvest, pour essayer d’améliorer la gouvernance des sociétés françaises et de responsabiliser les pratiques. Il suffit d’observer les taux de contestation actuels dans les assemblées générales sur les sujets de rémunération : les investisseurs ont mis en place des « politiques de vote » afin d’exercer ce rôle de surveillance et de vigilance. Ceux qui sont appelés les « zinzins zappeurs » ne zappent pas tant que ça (ex: gestion indicielle) et les vrais zappeurs n’exercent pas leur droit de vote, ils vendent. Confondre les arbitragistes, les vendeurs et les actionnaires qui exercent leur droit de vote est donc un raccourci rapide qui jette injustement l’opprobre sur ces derniers.

Ecrire que ces actionnaires via leurs droits de vote exigent des superdividendes est trompeur : les actionnaires approuvent largement la privation de dividende en assemblée générale. L’assemblée générale 2014 de Peugeot aura par exemple vu les actionnaires approuver à 99,61% la privation de dividendes. Il est donc important pour les conseils d’administration de ne pas confondre l’expression de l’opinion de certains actionnaires avec l’expression du vote de la collectivité des actionnaires en assemblée générale souveraine.

Le vrai problème du droit de vote double en France est qu’il est réservé aux actionnaires au nominatif. Colette Neuville m’expliquait à l’issue de l’assemblée générale de Vivendi que le droit de vote double pour les actionnaires de long terme serait légitime selon elle si tous les actionnaires pouvaient l’obtenir quel que soit leur mode de détention (au nominatif ou au porteur). Or, dans son opinion, Edouard Tetreau ne fait  ni référence à l’inégalité entre actionnaires créée par les modes de détention des titres (droit de vote double possible pour les nominatifs mais pas pour les actionnaires au porteur) ni à la complexité de la détention via les chaînes d’intermédiaires financiers à l’international qui rendent impossible en pratique l’inscription au nominatif des investisseurs pour compte de tiers, ni des contraintes de gestion subies par les gérants d’actifs pour compte de tiers, ni de l’explosion des frais financiers que subiraient les OPCVM si chaque opération sur titres devait faire l’objet d’une déclaration d’enregistrement au nominatif (charge financière + contrainte des caisses de retraite américaines). Les investisseurs français et étrangers ont donc dialogué avec les instances dirigeantes des sociétés dans lesquels ils investissent pour leur expliquer ces contraintes techniques et de nombreux dirigeants et administrateurs ont compris que l’égalité de traitement des actionnaires (une action = une voix) était préférable à la création d’un privilège pour une poignée. Il est donc injuste de décrier les dirigeants et administrateurs ayant su dialoguer avec leurs actionnaires et comprendre les effets pervers du droit de vote double. Il convient au contraire de dénoncer les dirigeants ayant privilégié l’intérêt particulier d’un actionnaire de référence qui aura fortement contribué à leur nomination. C’est le cas du directoire de Vivendi qui offre ce privilège au groupe Bolloré et c’est également le cas de Stéphane Richard qui offre ce privilège à l’Etat français chez Orange.

Le raccourci entre droit de vote double et actionnariat de long terme  d’Edouard Tetreau est donc erroné puisque c’est oublier de prendre en compte la vaste majorité des actionnaires de long terme, ceux qui détiennent leurs titres au porteur et sont exclus du dispositif. Mis à part une poignée de grands actionnaires de référence qui pèsent beaucoup et une multitude de petits porteurs qui pèsent collectivement peu, la plus grande partie du capital est détenue par des actionnaires au porteur dont beaucoup de long terme. Il aurait suffi d’écouter lors de l’assemblée générale de Vivendi les représentants des investisseurs qui ont déposé la résolution externe, Phitrust et Railpen, la caisse de retraite des employés du rail britannique. Denis branche de Phitrust expliquait alors qu’ils étaient actionnaires de Vivendi depuis bien plus longtemps que le groupe Bolloré et pourtant non bénéficiaire potentiel de droit de vote double du simple fait de leur mode de détention.

Edouard Tetreau mentionne les mêmes exemples de dissociation entre propriété et contrôle que Vincent Bolloré lors de l’AG Vivendi. A s’inspirer des pires exemples américains, un des pays aux droits des actionnaires limités, on ne peut en effet que faire exploser la démocratie actionnariale à la française ! La vérité est que ces droits de vote multiples sont surtout le fruit de fondateurs qui les ont instaurés avant d’introduire leur société en bourse. La dissociation entre propriété et contrôlé que créent les droits de vote multiples ou les actions sans droit de vote est particulièrement malsaine car elle encourage justement la création de groupe d’investisseurs seulement intéressés par le dividende, sans affectio societatis, qui laissent les pleins pouvoirs à un actionnaire ou à un concert d’une poignée d’actionnaires.

Si Proxinvest partage avec l’auteur sa préférence pour un actionnariat de long terme, nous préférons toutefois un actionnariat où l’on ne laisse pas un actionnaire prendre le contrôle sans trop investir, mais plutôt un actionnariat de long terme généralisé, vigilant et responsable. Définitivement, non, le droit de vote double pour les actionnaires au nominatif depuis deux ans n’est pas « un début de réponse intelligente »!

Loïc Dessaint.

Paris, le 22 avril 2015

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