Les assemblées générales sont l’occasion pour les actionnaires de s’exprimer sur les résolutions présentées par les directoires ou les conseils d’administration d’entreprise. Or le vote de ces résolutions en assemblée comprend une anomalie, un conflit d’intérêt majeur dont l’impact est devenu croissant avec le développement de l’actionnariat salarié et du droit de vote double.

En effet, dans les fonds d’actionnariat salarié, comme dans les fonds diversifiés d’épargne salariale détenant une fraction de titres de l’entreprise, les représentants de la direction d’entreprise, qui peuvent détenir statutairement jusqu’à 50% des sièges des conseils de surveillance du Fonds Commun de Placement d’Entreprise (FCPE), participent à la détermination de la position sur les résolutions. Ils se trouvent donc en conflit d’intérêt, juges et parties, entre leur mission de représentation de l’intérêt des salariés actionnaires et celle de représentants de l’entreprise qui soumet les résolutions.

Cette anomalie permet à de nombreuses résolutions présentées par la direction d’être adoptées en assemblée générale du simple fait du poids des droits de vote détenus par le FCPE. Par ailleurs, elle empêche les salariés actionnaires de faire connaître leurs désaccords avec la direction de l’entreprise aux autres actionnaires. Imagine-t-on un seul instant que l’abstention d’un seul député puisse permettre au Gouvernement de faire adopter un projet de loi contre l’avis de tous les autres ? C’est pourtant cette mécanique qui prévaut dans les fonds d’actionnariat salarié : une seule abstention d’un représentant des salariés et c’est la résolution de l’entreprise qui est adoptée !

Un amendement parlementaire, porté par Stanislas Guerini en séance d’examen de la loi Pacte, mettait fin à cette anomalie. Cet article 59 Ter du projet de loi Pacte adopté à l’Assemblée Nationale prévoit que « pour l’exercice des droits de vote attachés aux titres émis par l’entreprise, les opérations de vote ont lieu hors la présence des représentants de l’entreprise. ». L’exercice des droits de vote des salariés serait enfin réservé aux représentants des salariés actionnaires dans les fonds d’actionnariat d’entreprise sans ingérence de la direction.

Force est de constater que cette évolution bienvenue ne passe pas auprès des directions d’entreprise qui utilisent les fonds d’actionnariat salarié pour bénéficier d’un socle de voix captives. Lors du séminaire du Cliff* du 17 décembre 2018, l’Association française des entreprises privées (AFEP) a exprimé sa crainte d’une fuite des investisseurs si cette disposition était maintenue et la Commission Spéciale du Sénat a consécutivement supprimé cette disposition.

Représentants d’investisseurs responsables, nous ne pouvons que nous élever contre cet argument sans fondement. Mettre fin à cette forme d’autocontrôle des dirigeants sur le vote de leur propre assemblée générale est plutôt de nature à rassurer les investisseurs sur la bonne gouvernance des entreprises françaises. Les salariés, comme tous les actionnaires, doivent pouvoir exprimer librement leur vote. Attachés à leur entreprise et à son devenir à long terme, ils ne constituent pas une menace. Les investisseurs responsables et minoritaires souhaitent au contraire qu’ils puissent s’exprimer comme tous les actionnaires, en se faisant une opinion sur les décisions proposées au vote. Et si, suite à cette disposition, le besoin d’expliquer mieux la stratégie de l’entreprise aux représentants des salariés se faisait sentir plus vivement, le dialogue social n’en serait que plus riche, un dialogue social indispensable à la bonne gestion des entreprises dans lesquelles nous sommes investis.

Signataires : Olivier de Guerre, président de PhiTrust, Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest, Alexis Masse, président du Forum pour l’investissement responsable


*Association des responsables des relations avec les investisseurs

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