courssolocalCe mercredi 19 octobre a lieu à Aubervilliers une assemblée générale cruciale pour Solocal et ses actionnaires. Pour la première fois, ceux-ci résistent. Retour sur douze années de galère…

Les ex-Pages Jaunes avaient été introduites en bourse en 2004 par France Telecom à 14€ par action, sur la base d’une valorisation totale de 3,9 Milliards €. En 2006, France Telecom devenue Orange cède le solde du capital aux fonds KKR et Goldman Sachs à 22€ par action. Ces derniers  imposent  leurs administrateurs (Jacques Garaïalde de KKR et trois autres collègues, Hugues Lepic et un collègue pour Goldman Sachs) et un dividende exceptionnel de 9€ par action. Proxinvest indique alors à ses clients qu’il s’agit surtout de répondre à l’intérêt personnel du nouvel actionnaire de contrôle qui rembourse ainsi une partie significative des emprunts contractés (LBO). D’une situation de cash net positif de 500M€, le groupe se retrouve avec un endettement net de 2 Mrds €. La direction de PagesJaunes, inchangée puisque Michel Datchary aura occupé la fonction de Directeur Général de 1996 à 2009, soutient que sa flexibilité stratégique est maintenue avec un endettement de 4,5 fois l’EBITDA au lieu d’une moyenne de 5 dans le secteur en Europe. Le rapport de l’expert confirme que l’endettement de la société à l’issue de l’opération restera inférieur à celui des sociétés du secteur et conclut que le « plan d’affaires …paraît prudent ». Autant de communication qui incite les actionnaires à demeurer au capital.

Au passage les 44 salariés ayant participé à la cession de la participation de France Telecom se voient offrir 679 000€, dont 300 000€ pour le seul Directeur Général Michel Datchary.

La suite est connue : le surendettement ne permet plus à la société d’investir convenablement, générant des retards dans la mutation du business model vers le digital, des renégociations de l’endettement se traduisant par rééchelonnement de la dette et augmentation de la charge financière. Le cercle vicieux était enclenché, Pages Jaunes, jusqu’alors perçue comme une valeur de rendement pour son dividende, doit couper le dividende. Mediannuaire Holding, la holding détenue par KKR et Goldman Sachs, change de contrôle au profit d’un autre fonds, Cerberus, qui récupère aussitôt le droit de vote double et contrôle en quelques semaines 28% des droits de vote.  En effet, à l’AG 2011, malgré l’opposition de 90% des voix des minoritaires, KKR et Goldman Sachs auront imposé le droit de vote double sur proposition du conseil d’administration présidé par Jean-pierre Remy, déjà peu soucieux du sort de ses actionnaires minoritaires. Complaisant avec ses anciens actionnaires, Jean-Pierre Remy, PDG depuis le départ de Michel Datchary en 2009, soulignait avant l’AG 2013 que « KKR et Goldman Sachs ont cherché à organiser leur sortie du capital de PagesJaunes de façon ordonnée et progressive« .  Sympa…

Ensuite la renégociation financière conduite par Robert de Metz, Président actuel du conseil, débouche en 2014 sur une augmentation de capital qui apportera 440M€ de fonds propres nouveaux, soit, après les frais des conseillers financiers et des avocats (35M€ dont 400K€ pour une société appartenant à Robert de Metz), un solde de 405M€ intégralement affecté au remboursement des créanciers. Cette opération qui était intégralement garantie par les banquiers chefs de file Morgan Stanley et BNP Paribas, avec Rotschild et Cie dans le rôle du conseil financier, se réalise à un prix de 0,50€ par action, soit l’équivalent de 15€ par action après le regroupement de trente actions en une fin 2015. Jean-Pierre Remy promettait alors un avenir radieux : « Grâce à cette levée de  fonds,  le Groupe a désormais les moyens de finaliser sa transformation digitale, déjà bien engagée, au profit de ses clients et de ses actionnaires« .

Deux ans plus tard, les actionnaires qui auront souscrit à l’augmentation de capital de 2014 auront perdu 80% de leur investissement. On leur demande de nouveau de remettre 400M€ via une augmentation de capital dont le produit sera affecté pour 380M€ au remboursement des créanciers, la société n’en conservant que 20M€ pour sa capacité d’investissement. Face à un endettement de 1,1 milliard d’euros qui ne vaut plus que 700M€ en valeur de marché, les créanciers recevront dans le plan de restructuration financière proposé à l’AG du 19 octobre 2016 :

  • Un encaissement immédiat de 380M€
  • 400M€ d’une nouvelle dette à cinq ans à un taux prohibitif d’environ 8%, alors même que la société aura en grande partie réduit son endettement, générant de lourdes charges financières qui la maintiendra sous tension financière
  • 15% du capital du groupe valorisable à 165M€ sur la base d’un multiple VE/EbitDA récurrent de 5,5X (cohérent avec la valeur d’entreprise de 1,5 milliard d’euros retenue par l’expert indépendant moins la dette résiduelle de 400M€)
  • des bons de souscription d’actions exerçables à 2€ pendant 5 ans qui transféreront une grande partie de la création de valeur future au profit des créanciers. Le nombre de BSA qui serait émis variera en fonction du taux de souscription en numéraire à l’augmentation de capital avec DPS, par exemple 155 millions de BSA si le taux de souscription en numéraire est égal ou supérieur à 75%. L’expert indépendant donne alors 87,1M€ comme valeur optionnelle des BSA créanciers.

En additionnant l’ensemble de ce package, on s’aperçoit que l’effort des créanciers est ridiculement faible, d’environ 100M€ sur la base de la valeur nominale, alors même que l’effort demandé une nouvelle fois aux actionnaires est colossal (investissement de trois fois leur détention actuelle). C’est même un vrai gain si l’on se réfère à la valeur de marché à laquelle la dette peut être actuellement rachetée!  Le « cadeau » que représente les 400M€ d’argent frais apporté par les actionnaires et nouveaux entrants en remboursement de créances décotées en valeur de marché a clairement été bradé dans les négociations par le Directeur Général et le conseil d’administration en place. Les conditions financières auraient mérité d’être mieux négociées pour les petits porteurs et pour la capacité d’investissement résiduel du groupe.

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L’évolution à la baisse des objectifs de cours des analystes suite à l’annonce des conditions du plan début Août 2016. (source : rapport de l’expert indépendant) semble indiquer l’annonce de conditions financières défavorables aux actionnaires et/ou à l’entreprise.

Si le plan de restructuration financière est mal équilibré, demandant un effort de recapitalisation aux actionnaires sans contrepartie sérieuse, les créanciers ne sont certainement pas les premiers à blâmer. Ils font certes preuve d’un haut niveau de professionnalisme dans la défense de leurs intérêts face à une gouvernance affaiblie. Solocal a pendant longtemps souffert d’un conseil d’administration fortement composé de représentants de fonds spéculatifs ayant leur propre calendrier (KKR, Goldman Sachs, Cerberus) avec l’appui  naturel de dirigeants prêts à conciliation pour sauvegarder leur poste. Désormais ce conseil d’administration souffre dans ce type de négociations financières d’un manque d’administrateurs disposant d’une réelle fibre actionnariale et d’une réelle expertise financière. Ceci est d’autant plus regrettable que le dossier est très loin d’être un cas perdu:

  • Même si le management n’a pas su délivrer ses promesses dans le rythme annoncé, la mutation du business model est proche d’être aboutie, l’activité des imprimés étant devenue marginale.
  • Les fonds propres, avec un positionnement clé sur les métiers de l’Internet, est loin de devoir être valoriser négativement et présente un niveau d’intérêt significatif pour tout investisseur qui aurait le mérite de la patience d’attendre la poursuite du développement de ces métiers et le remboursement progressif d’une dette renégociée.
  • Le groupe reste largement profitable, loin de l’ambiance de communication financière anxiogène véhiculée pour recapitaliser le groupe à bas prix, loin des fâcheuses expériences actionnariales Eurodisney ou Eurotunnel. Il paie son personnel et l’ impôt sur ses bénéfices malgré un coût élevé de sa dette.

Le problème de Solocal est donc avant tout un problème de bilan. Il faut restructurer cette dette afin de donner plus d’oxygène au groupe, une réelle capacité d’acquisitions, via une dette résiduelle moindre, allongée et à faible taux d’intérêt. Cette restructuration doit aussi éviter de se réaliser à bas prix ce qui limiterait alors la dilution immédiate ou future induite pour les actionnaires au profit des créanciers.

Grâce à la mobilisation des actionnaires minoritaires lancée par l’association RegroupementPPLOCAL, l’espoir du rejet des conditions financières demeure pour cette assemblée générale du 19 octobre. Les actionnaires minoritaires proposent également un renouveau de la gouvernance afin que le conseil d’administration soit plus représentatif des vrais actionnaires minoritaires. Ce conseil d’administration renouvelé devra renégocier les covenants et le taux de la dette résiduelle qui s’annoncent de nouveaux boulets pour l’entreprise. Un peu de décence ou du bon sens aurait aussi évité de considérer atteint à 90% les objectifs pour la part variable du dirigeant alors même que le cours de bourse a été divisé par 2,5 en 2015.

Comme souvent en pareil circonstances, le risque est grand de voir les dirigeants intimider les actionnaires avant leur vote, les diaboliser, paniquer, dramatiser, désinformer les salariés. Moi et mon plan, unique solution crédible non négociable, lance le dirigeant désemparé devant la mise en lumière de ses piètres talents de négociateur. Non, ne nous laissons pas impressionner. Solocal n’est pas un cas comparable aux autres restructurations financières, sa santé financière est bien plus saine, sa valorisation serait bien plus élevée sans cette impression d’y voir son conducteur accélérer inconsciemment pour foncer plus vite droit le mur. De telles restructurations financières ne devraient pas se négocier sur un coin de table hors la consultation régulière des actionnaires. Proxinvest a donc appelé à ne pas soutenir ce plan de restructuration  financière déséquilibré. Proxinvest soutient pleinement les actionnaires minoritaires dans leurs efforts pour  une gouvernance exemplaire mettant en priorité la continuité des opérations et la recherche de solutions respectueuses des parties prenantes.

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