Tonnerre_WestminsterL’accord de fusion entre le LSE (London Stock Exchange) et la Deutsche Börse peut-il survivre au Brexit?

Les deux entreprises ont largement souligné les avantages de ce mariage:  création d’un groupe puissant sur le trading des dérivés mondiaux pour rivaliser avec Intercontinental Exchange (ICE) et CME Group; devenir un leader dans les services post-négociation, et bien sûr un pionnier dans les données du marché puisque l’entité combinée serait propriétaire des indices FTSE Russel, STOXX et DAX.

Cependant, une question reste dans les esprits : comment le vote historique du Royaume-Uni de quitter l’Union Européenne va-t-il impacter ce rapprochement? Lors des jours qui ont suivi le référendum britannique, les dirigeants des deux bourses ont répété ad nauseam que les risques n’étaient pas fondés et  que l’accord se poursuivra comme prévu. Nous n’en sommes pas si sûr.

  • Une valorisation financière qui aurait dû être plus élevée : absence de prime de contrôle et diligences limitées sur les éventuelles offres alternatives de concurrents

Dans notre rapport publié il y a une dizaine de jours, nous avons appelé  nos clients actionnaires de la Bourse de Londres de voter contre la fusion lors de l’assemblée générale qui a lieu ce 4 Juillet. Notre principal grief était le fait que l’accord n’accorde aucune prime aux actionnaires du LSE. Ainsi le prix proposé de 2,554p par action présente même une décote par rapport au prix de l’action  du 15 Mars 2016, c’est à dire à la veille de l’annonce de l’accord. , Derrière cette « fusion entre égaux » se cache peut-être le manque de ressources financières de Deutsche Börse pour payer cette juste prime alors que le secteur  présente des primes d’acquisition historiques de 30 à 40%! Or tous les experts en gouvernance savent que sur le long terme il n’y a jamais de fusion entre égaux, il y a toujours un camp qui prend une influence prépondérante et dans le pire des cas d’équilibre cela génère une guerre dévastatrice avec les équipes dirigeantes…

Le London Stock Exchange a été la cible de plusieurs tentatives de rachat au cours de la dernière décennie, toute combattue par le conseil d’administration. Voir ce dernier soutenir une fusion sans prime est une surprise et nous amène à nous interroger pour savoir si toutes les diligences ont été dûment effectuées. Tout d’abord on en est à la troisième tentative de fusion entre LSE et Deutsche Börse. Leur premier badinage en 2000 a pris fin lorsque OM Gruppen (opérateur de la bourse suédoise) fit une offre de 808 millions £ pour LSE, qui a été rejeté par la société en Août de cette année. Les Allemands ont renouvelé leurs efforts en Janvier 2005 via une autre offre en espèces pour LSE, cette fois d’une valeur de 1.300 millions de £. Encore une fois, le conseil d’administration de LSE a rejeté cette offre en faisant valoir qu’elle ne reflètait pas la valeur intrinsèque de leur entreprise. Ensuite, au fil des ans, Deutsche Börse n’a pas été le seul prétendant intéressé: LSE a également rejeté des offres de l’Australien Macquarie Bank  (1.600 millions £ en Décembre 2005) et du NASDAQ (2,700 millions de £ en Novembre 2006). La proposition de fusion actuelle valorise LSE à 8,913 millions de £.

Nous notons que ICE a considéré la possibilité de faire une contre-offre sur le LSE en Février de cette année et il y avait même des bruits selon lesquelles le CME préparait une offre, un scénario qui aurait pu déboucher sur un véritable combat digne de la série Game of Thrones pour le contrôle de la Bourse de Londres. Cependant, en mai de cette année, l’ICE a abandonné son offre en citant que les dirigeants du LSE avaient refusé de discuter d’un rachat, une affirmation que le LSE nie. Compte tenu de l’attrait évident du LSE pour ses concurrents étrangers, il aurait fallu que le conseil d’administration démontre avoir fait une recherche exhaustive de toutes les options possibles et prouve que cette transaction est vraiment dans le meilleur intérêt des actionnaires de LSE.

  • Manque de concurrence et Brexit génèrent un risque d’exécution élevé de la fusion

Même avant le vote du ‘Brexit’, les responsables européens ont exprimé publiquement leurs réserves sur l’accord. Le Ministre français des Finances, Michel Sapin, a remis en question le bien-fondé de l’affaire en invoquant des préoccupations concurrentielles sur les marchés financiers européens. Il a affirmé que l’entité combinée serait trop dominante et pourrait potentiellement éclipser la concurrence, notamment Euronext.  Felix Hufeld, le président de La BaFin,  l’Autorité de la surveillance financière fédérale allemande, a rejoint la foule des dissidents. En référence au fait que le siège social de l’entité combinée sera Londres , il a souligné qu ‘ «il est difficile d’imaginer que le lieu d’échange boursier le plus important dans la zone euro serait piloté à partir d’un endroit extérieur à l’UE« .

Un argument clé pour les partisans de la fusion est le coût et les synergies de revenus post-fusion. Alors qu’ils furent estimés à un niveau plus élevé qu’anticipés par le marché, nous sommes préoccupés de savoir si elles peuvent être effectivement réalisés alors que Londres devra quitter l’UE. Au cœur des synergies de coûts planifiées est l’harmonisation des plates-formes post-trade (50%) et la mutualisation des centres de coût (30%). Après le Brexit, les deux parties à la fusion seront clairement réglementés par deux régimes différents et donc contraints de maintenir leurs structures de gestion existantes, il devient alors  improbable que les synergies attendues puissent être totalement réalisées. En outre, si le Royaume-Uni n’arrive pas à obtenir de l’UE un régime de passeport financier avantageux, l’accès ininterrompu aux marchés européens sera rompu et les synergies de revenus envisagés semblent donc très fragiles.

L’incertitude accrue ne présage rien de bon pour la fusion et ne sert qu’à renforcer nos réserves quant à ses mérites. Comme nous entrons dans un territoire inexploré et les marchés volatils au cours des prochains mois, voire des prochaines années, les dirigeants des deux groupes sont dans la position peu enviable de chanter les louanges de l’accord face à des investisseurs sceptiques et des régulateurs méfiants. Devant autant d’incertitudes qui conduiraient les investisseurs à trembler à la moindre annonce et rentrer en apnée sur une longue période, Proxinvest recommande de mettre fin dès que possible à ce rapprochement.

Les rapports de Proxinvest sont disponibles sur souscription (rubrique contact du  site pour toute demande d’information). Le rapport sur l’assemblée générale du London Stock Exchange peut aussi être commandé à l’unité sur : http://shop.ecgs.com/?ass=0100210327 .

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