C’est au cœur de l’été que l’assemble générale d’Alstom sera réunie le 17 juillet 2018, afin d’approuver la fusion des activités Mobilité de Siemens avec Alstom. Présentée initialement comme une fusion entre égaux, Siemens deviendra pourtant l’actionnaire de contrôle de la nouvelle entité avec 50,67% du capital au closing de l’opération et pourra même posséder 52% quatre ans plus tard. Siemens aura de plus la mainmise sur le conseil puisque le groupe allemand désignera 6 administrateurs sur 11 et son accord préalable sera nécessaire pour la désignation de 4 administrateurs indépendants par Alstom. Enfin, le conseil sera présidé par un membre du directoire de Siemens.

Selon Proxinvest l’intérêt statégique du rapprochement semble réel mais l’opération ne permet pas aux actionnaires d’Alstom d’être indemnisés d’une réelle prime de contrôle à laquelle ils auraient le droit : les conditions de la transaction vont permettre à Siemens de contrôler le principal acteur européen et le deuxième mondial sans en payer réellement le juste prix. La prime de contrôle implicite ne s’élève en effet qu’ à 13% du cours précédant l’annonce et il manque donc au bas mot 1,1 Md€ pour les actionnaires d’Alstom (30%).  Au regard des conditions financières et de gouvernance proposées, cette prise de contrôle ne peut être soutenue par Proxinvest.

Après avoir publié son analyse de l’assemblée générale pour ses clients investisseurs, Proxinvest publie ci-dessous son analyse de la transaction.


Le 26 septembre 2017, Siemens et Alstom ont signé un protocole d’accord pour combiner les activités mobilité de Siemens, incluant sa traction ferroviaire, avec Alstom. Un accord de rapprochement a été conclu le 23 mars 2018. Cette opération a été présentée initialement comme une fusion entre égaux .

Siemens apporterait son activité matériel roulant et signalisation (division « Mobilité » de Siemens), les activités conduites au sein des sous-segments « Systèmes ferroviaires » (Rail Systems) et « Engrenages et Composants Ferroviaires » (Railway Gears and Components) et l’activité de services conduite au sein du sous-segment « Chaînes de Tractions » (Traction Drives).

Le nouveau groupe aura son siège à Saint-Ouen, en France, et continuera d’être coté à la bourse de Paris. Le siège des activités de Mobility Solutions sera basé en Allemagne et celui du Matériel Roulant en France. Au total, la nouvelle entité regroupera 62 300 salariés dans plus de 60 pays.

 

  • Intérêt stratégique

Selon les sociétés, la transaction réunirait « deux acteurs innovants du marché ferroviaire au sein d’une entité qui offrirait de la valeur pour les clients et un potentiel opérationnel unique. Les deux activités sont largement complémentaires en termes d’activités et de présence géographique. »

Toujours d’après les sociétés « L’entité combinée offrira ainsi une gamme significativement plus large de produits et de solutions pour répondre à tous les besoins des clients : des plateformes standardisées au coût optimisé jusqu’aux technologies haut-de-gamme. L’empreinte mondiale permettra à l’entreprise fusionnée d’avoir accès aux marchés en croissance du Moyen-Orient-Afrique, d’Inde et d’Amérique Centrale et du Sud où Alstom est présent et de la Chine, des États-Unis et de la Russie où Siemens est présent. »

La création d’un acteur européen dans l’industrie ferroviaire semble pertinent dans une période où « Le marché mondial a changé de manière significative au cours de ces dernières années. Un acteur dominant en Asie a modifié la dynamique du marché mondial et la digitalisation impactera l’avenir de la mobilité ». Les arguments fournis par les deux sociétés apparaissent réels : « les clients et les populations bénéficieront du rapprochement envisagé du fait (i) d’une meilleure rentabilité tirée des synergies et de l’optimisation attendues, (ii) d’offres de produits significatives et complémentaires, (iii) d’une complémentarité géographique à même de répondre aux exigences de production locale des clients, et (iv) d’une intégration ferroviaire transfrontalière facilitée en Europe ».

Depuis le recentrage des activités d’Alstom dans le ferroviaire à la suite de la cession des activités énergie à GE, la société a dégagé de très bonnes performances. Cette fusion devrait permettre la poursuite de ces succès. L’intérêt stratégique de l’opération semble réel, créant un champion européen des transports face à la menace du nouveau concurrent chinois, CRRC.

  • Conditions financières

La valeur des actifs apportés a été déterminée sur la base d’une approche multicritères. Afin de permettre la transaction sur une base équilibrée selon la société, les actionnaires existants d’Alstom à la clôture du jour précédant la date du closing recevront deux dividendes spéciaux : une prime de contrôle de 4 € par action (soit un total de 0,9 Md €) payée rapidement après la réalisation de l’opération et un dividende extraordinaire d’un montant maximum de 4 € par action (soit un total de 0,9 Md €) payé par les produits des options de vente d’Alstom dans les co-entreprises avec General Electric qui représentent un montant d’environ 2,5 Mds €, sous réserve de la situation de trésorerie d’Alstom (voir résolution 33) (la société a confirmé à Proxinvest que le solde des options dans les co-entreprises avec GE devrait être réglée).

Les deux sociétés ont connu toutes les deux de très bonnes récentes performances financières. Elles ont des carnets de commandes et des chiffres d’affaires à peu près équivalents mais Siemens dégage une marge plus élevée. La nouvelle entité bénéficiera d’un carnet de commandes de 61,2 Mds €, un chiffre d’affaires de 15,3 Mds €, un résultat d’exploitation ajusté de 1,2 Mds € et une marge d’exploitation ajustée de 8%, sur la base d’informations extraites des derniers états financiers d’Alstom et de Siemens. Le rapprochement de Siemens et Alstom devrait produire des synergies annuelles de 470 M€ au plus tard quatre ans après la réalisation de l’opération et vise une trésorerie nette à la date de réalisation comprise entre 500 M€ et 1 Mds €.

Au cours de l’action lors de l’annonce de la transaction (environ 30 €), la prime de contrôle de 4€ par action qui est proposée représentait 13% de la valeur d’Alstom, un montant particulièrement faible par rapport à ce qu’exigeraient les administrateurs et investisseurs d’autres places financières et aux pratiques constatées (une étude de McKinsey indique qu’en 2016 les primes étaient supérieures à 40% dans 45% des opérations). La prime de contrôle implicite est clairement insuffisante. Elle devrait être de l’ordre de 30% et il manque environ 5 € par action, soit 1,1 Md€ pour les actionnaires d’Alstom.

Afin d’acquérir les actifs de Siemens, l’opération aurait dû être structurée différemment via une augmentation de capital avec DPS, une part pouvant être réservée à ce dernier s’il souhaitait participer au nouvel ensemble mais de façon minoritaire. Un tel schéma aurait sans doute était préférable pour les actionnaires d’Alstom qui bénéficieront d’une faible prime de contrôle. En effet, les conditions de la transaction vont permettre à Siemens de contrôler le principal acteur européen et le deuxième mondial sans réellement en payer le prix.

  • Impact sur la gouvernance

L’État français n’a pas exercé les options d’achat qu’il détenait sur les titres Alstom détenus par Bouygues et a procédé le 17 octobre 2017 à leur restitution. Bouygues, qui détient 27,94% du capital et 28,75% des droits de vote, s’est engagé à voter en faveur de la transaction et à ne pas transférer les actions Alstom détenues avant la présente assemblée générale. Alstom s’est engagé, à l’issue de la période de conservation, à coopérer avec Bouygues, si ce dernier le demande, dans le cadre de la cession, le cas échéant, de sa participation au sein d’Alstom. L’attitude de Bouygues est analysée à la résolution 4, la concomitance de la transaction avec Siemens avec ces éléments étant troublante.

Il est prévu qu’Alstom devra prendre toutes les mesures nécessaires afin que la participation de Siemens au sein de la nouvelle entité ne soit pas inférieure à 50%, notamment via le rachat puis l’annulation d’actions (voir résolution 32). Par ailleurs, l’Etat français a annoncé soutenir l’opération. A cet égard, Siemens a pris certains engagements, incluant certaines protections en matière de gouvernance, d’organisation et d’emploi ainsi que l’engagement de ne pas dépasser un certain plafond de participation aux termes duquel Siemens s’est engagée à ne pas détenir, directement ou indirectement, plus de 50,5% du capital social et des droits de vote de Siemens Alstom pendant une période de 4 ans à compter de la date de réalisation. L’accord stipule qu’au cas où la participation du Groupe Siemens dans Alstom dépasserait le plafond de 50,5% à la date de réalisation de l’opération, ni Siemens ni aucune de ses filiales ne serait obligée de céder des actions Alstom dans l’objectif d’amener la participation du Groupe Siemens en deçà de ce plafond, pour autant que cette participation n’excède pas 50,67% du capital social émis d’Alstom. Siemens détiendra donc plus de 50% du capital et aura le contrôle de la nouvelle entité, sans compter l’exercice des BSA qui interviendra 4 ans plus tard.

Au cours des 4 premières années, le conseil d’administration de Siemens Alstom sera composé de 11 membres et comprendra 6 administrateurs désignés par Siemens, le Directeur Général de Siemens Alstom et 4 administrateurs indépendants désignés par Alstom avec l’accord préalable de Siemens. Il est également prévu que le Président-Directeur général d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, soit nommé pour une durée indéterminée en qualité de premier Directeur général de Siemens Alstom. Le conseil d’administration de Siemens Alstom sera présidé par un Président non-exécutif nommé parmi les administrateurs désignés par Siemens (l’actuel Chief Technology Officer et membre du Directoire de Siemens, Roland Busch). Le conseil d’administration de Siemens Alstom comprendra un Vice-Président nommé parmi les quatre administrateurs indépendants (Yann Delabrière).

Une procédure de « Questions Réservées » sera mise en place. Pendant une période de 4 ans, il est prévu que le conseil d’administration approuve à la majorité des 2/3 des administrateurs (incluant le vote favorable de deux administrateurs indépendants désignés par Alstom) toute décision relative aux questions suivantes :
– toute distribution excédant un taux de distribution de 65% des bénéfices distribuables (sauf si la situation de trésorerie nette est supérieure à 1 Md €) ;
– toute réduction de capital ;
– toute modification des statuts ;
– toute cession ou scission (spin-off) d’actifs représentant plus de 25% du total de l’actif ou du résultat brut ou du résultat d’exploitation consolidé du Groupe ;
– toute modification du Règlement Intérieur du conseil d’administration ;
– toute modification significative de l’activité du Groupe (étant précisé que seules les cessations d’activités sont envisagées à cet égard) ;
– un transfert du siège social ;
– la nomination et la révocation du Directeur Général.

Ces différents éléments démontrent la mainmise de Siemens sur le conseil puisque le groupe allemand désignera la majorité des administrateurs dont celui qui sera le Président (avec voix prépondérante en cas de partage égal des voix) et donnera son accord pour la nomination des 4 indépendants désignés par Alstom. La procédure des questions réservées semble insuffisante et ne durera que 4 ans. Afin de limiter le risque de transfert de valeurs, Proxinvest aurait privilégié un conseil composé d’une majorité de membres libres de conflits d’intérêts et présidé par un indépendant ainsi qu’une procédure de contrôle des conventions avec Siemens qui ne pourrait prendre part au vote – ni au CA, ni en AG – sur les sujets où il est directement impliqué que ce soit au niveau de la maison mère ou de toute filiale de Siemens Alstom. En effet, il est intéressant de noter le cas de Siemens Gamesa (les activités de Siemens dans l’éolien ont fusionné en 2017 avec Gamesa pour créer un nouvel ensemble détenu à 59 % par Siemens) : lors de l’assemblée générale de 2018, deux résolutions externes ont été déposées par Iberdrola portant sur les transactions avec les parties liées (notamment afin de renforcer et de garantir le devoir des administrateurs actionnaires de s’abstenir dans la délibération et le vote sur les résolutions relatives aux transactions impliquant Siemens) et le maintien en Espagne des sièges social, principal et opérationnel. Cet exemple peut donner quelques frayeurs aux actionnaires d’Alstom. Face au peu de protection mise en place, le risque semble grand que Siemens abuse les minoritaires par son contrôle.

Par ailleurs, Proxinvest recommande de s’opposer à la hausse de 20% de la rémunération prévue pour Henri Poupart-Lafarge si le rapprochement devait avoir lieu (résolution 46).

Les nouvelles conditions de gouvernance post-fusion ne nous semblent pas optimales pour les actionnaires d’Alstom.

  • Impact en terme d’emploi

Au 31 mars 2018, Alstom employait 34 466 personnes dont 8 828 en France. Il est indiqué au sein du document E que Siemens a pris certains engagements en matière de gouvernance, d’organisation et d’emploi. Proxinvest a interrogé la société pour connaitre le détail de ceux-ci. Les engagements en matière de gouvernance sont décrits ci-dessus. Pour les deux autres points et notamment en terme d’emploi, Alstom a uniquement transmis le communiqué de presse du 26 septembre 2017 du Ministère de l’Economie et des Finances qui :  » (…) se réjouit de l’intérêt de cette opération tant du point de vue industriel qu’en termes de préservation de l’emploi. Siemens s’est notamment engagé formellement sur : la localisation du siège du groupe et la cotation en France, la nomination du directeur général d’Alstom à la tête du nouvel ensemble, la préservation des emplois et des sites industriels français ainsi que le maintien des investissements de la recherche et du développement en France. Ces engagements sont pris pour une période de quatre ans à compter de la réalisation effective du rapprochement.(…) » Les éventuelles sanctions en cas de défaut ne sont pas décrites.
Ces engagements laissent fortement dubitatifs si on en juge par l’attitude de General Electric. Il y a quatre ans, lors de l’acquisition de la branche énergie d’Alstom pour 13,5 Mds USD, General Electric avait promis la création de 1 000 emplois en France. Depuis, la conjoncture s’est retournée et l’américain ne tiendra pas son engagement. Il pourrait payer seulement 34 M€ d’amende (50 000 € par emploi non créé). Comme pour les « Questions réservées », une période de 4 ans peut sembler insuffisante.

  • Conclusion

Siemens deviendra l’actionnaire de contrôle de la nouvelle entité avec 50,67% du capital au closing de l’opération et pourra posséder 52% quatre ans plus tard. Le groupe allemand aura la mainmise sur le conseil puisque 6 administrateurs sur 11 seront désignés par Siemens sachant que les 4 administrateurs indépendants désignés par Alstom ne pourront l’être qu’après accord préalable de Siemens. De plus, le conseil est présidé par un membre du directoire de Siemens. Les modalités de la transaction donneront donc le contrôle de la nouvelle entité à Siemens.

L’intérêt stratégique du rapprochement semble réel mais l’opération ne permet pas aux actionnaires d’Alstom d’être indemnisés d’une réelle prime de contrôle à laquelle ils auraient le droit : la prime de contrôle implicite ne s’élève en effet qu’ à 13% selon Proxinvest et le manque à gagner est ainsi évalué à un minimum de 1,1 Md€ (30%). Les conditions de la transaction vont permettre à Siemens de contrôler le principal acteur européen et le deuxième mondial sans en payer réellement le prix.

Dans ces conditions, l’opération n’est en l’état pas soutenue par Proxinvest qui recommande aux actionnaires de s’opposer. 

 

Juillet 2018

Les études de Proxinvest concernant l’ assemblées générale des actionnaires des sociétés cotées françaises sont disponibles

pour nos clients sur  http://clients.proxinvest.com  et www.europroxy.com

et pour tout internaute sur la plateforme de recherche RESEARCHPOOL 

 

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