Le 9  février 2015, le journal Les Echos rapportait la vision de la gouvernance du Président d’Altice-Numéricable, Patrick Drahi : «La gouvernance, c’est un mot que je n’aime pas trop. Dans les entreprises, il y a des patrons. Et le patron c’est moi ».
Le principe de la gouvernance est justement de créer un certain nombre de contre-pouvoirs, de surveillance, de vérifications, pour que les décisions soient mûrement débattues et réfléchies, que les risques soient collectivement assurés, d’éviter une dérive autocratique et veiller à ce que l’ensemble des parties prenantes soit respecté dont les apporteurs de capitaux, les actionnaires. A l’analyse de l’assemblée générale d’Altice qui se tient le 1er juin, Proxinvest comprend vite que Patrick Drahi dit vrai, la gouvernance est un mot qu’il n’aime pas trop.

Tout d’abord, pour participer à l’assemblée générale, l’actionnaire doit se rendre à Senningerberg, au Luxembourg, une destination pratique pour les Mosellans, beaucoup moins pour les autres actionnaires. En effet Altice SA est une société enregistrée au Luxembourg, petit pays par la taille renommé pour son traitement fiscal mais aussi pour son moins-disant en matière de droit des actionnaires, il s’en est fait une vraie spécialité afin d’attirer les sièges sociaux au profit d’actionnaires de contrôle ou managers peu regardant sur les droits de leurs minoritaires. En 2011 le Luxembourg fut d’ailleurs condamné pour non-transposition dans le délai de la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 pour l’exercice des droits des actionnaires de sociétés cotées.

L’investisseur habitué de certains droits qu’offrent le cadre français sera désemparé par l’avis de convocation de l’assemblée générale d’Altice : il se rendra compte que des résolutions ont été interverties entre l’ordre du jour et le formulaire et que ce formulaire de vote doit être renvoyé bien plus tôt pour être valide. Grâce au droit des sociétés luxembourgeois, pas de vote sur les conventions réglementées, cette procédure de contrôle des contrats sensibles passés avec des parties liées, ni communication de la rémunération individualisée de chaque dirigeant (introduit depuis la Loi NRE de 2001 en France).

L’étude de Proxinvest pour le réseau européen ECGS recommande aux clients investisseurs de s’opposer à la politique de rémunération et à l’amendement au plan de stock-options.  

La lecture du rapport annuel 2014 d’Altice surprend. En page 37, on lit que la valeur des options attribuées en 2014 à Patrick Drahi serait de 75 M€, même chose pour son bras droit, CEO d’Altice, Dexter Goei. Habitué de la valorisation de stock-options, Proxinvest comprend vite que cette « value of options » ne peut pas correspondre à la juste valeur à la date d’attribution normalement calculée en normes IFRS, mais qu’elle correspond à une simple multiplication du nombre d’options attribuées par le prix d’exercice des dites options début 2014,   soit 2,65 millions d’actions au prix d’exercice d’introduction  en bourse début 2014 de 28,25 € ou 1,56% du capital …

 Dans la note 24 aux comptes consolidés, Proxinvest découvre la valorisation faîte par la société ou ses commissaires aux comptes pour ce plan d’options : une valeur située entre 3,40€ et 4,02€ par option selon le modèle Black & Scholes. Bizarre.

Selon Proxinvest qui utilise la même méthode et les mêmes paramètres de valorisation du modèle Black & Scholes obtient 6,43€ par stock-option (Proxinvest a communiqué ses calculs à la société pour comprendre l’écart, sans retour à ce jour). Multiplié par les 2,65 millions d’options reçues par Patrick Drahi, la valeur totale de son attribution d’options était donc 17 M€ selon Proxinvest. A titre de comparaison, la rémunération moyenne d’un président exécutif du SBF 120 n’est que de 2,9M€ selon le dernier rapport Proxinvest sur la rémunération des dirigeants. Patrick Drahi ne perçoit pas d’autres rémunérations de la part d’Altice (fixe ou variable) mais ce niveau excède largement la rémunération maximale socialement acceptable définie par Proxinvest puisque ces 17 M€ de stock-options correspondent à l’équivalent de 972 SMIC. Patrick Drahi contrôle la majorité du capital d’Altice et le flottant n’y est que de 25%, et rien ne l’empêchait   de se servir encore plus car la position des minoritaires reste faible pour freiner les dérives sur les rémunérations.

Bien sûr, ces stock-options pourraient en théorie à leur expiration en janvier 2024 ne rien valoir, elles ne pourront en effet être exercées que si le cours excède le prix d’exercice de 28,25€  qui correspond au prix d’introduction en bourse de janvier 2014.

L’actionnaire minoritaire d’Altice ne peut que se réjouir du bon parcours du titre depuis l’introduction puisque le cours de clôture du 20 mai 2015 était de 129€ et la plus-value latente de cette attribution d’options est donc déjà de 261 950 000€ pour chacun des deux dirigeants. Il est toutefois plus que probable que la même performance aurait été obtenue même en attribuant dix fois moins d’options et que le caractère dissimulateur d’une telle attribution au patron actionnaire fait tout son intérêt.

L’actionnaire s’inquiétera surtout de savoir si la performance est durable. Fin janvier 2016, la moitié de ces options pourra déjà être exercée, deux ans seulement après leur attribution, sans la moindre condition de performance autre que le cours du titre : les actionnaires attendent en général une performance durable et des conditions de performance mesurées sur 3-5 ans. Les défis pour Altice restent pourtant plutôt devant eux et pour de nombreuses années. La stratégie est risquée et face à une dette nette qui s’élève désormais à 33 milliards d’euros, le moindre faux-pas opérationnel ou retournement du secteur sera dangereux…

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