Dans un communiqué laconique de quatre lignesTechnicolor annonce avoir attaqué en justice son actionnaire Vector Capital « en vue d’obtenir la résiliation judiciaire de l’accord de gouvernance signé entre la société et des entités du groupe Vector Capital en juillet 2012« . Le torchon brûle entre le conseil d’administration et son actionnaire qui y est représenté via deux administrateurs. Proxinvest dénonce ici le caractère malsain de tels « accords de gouvernance », véritable serment d’allégeance auquel certaines directions soumettent leurs actionnaires minoritaires désirant entrer du conseil. L’idée selon laquelle un actionnaire n’est acceptable au conseil d’administration que s’il jure de toujours voter en faveur des résolutions de la direction en place et de sa stratégie  est une pratique protectionniste en rupture grave avec les règles de bon sens de la démocratie actionnariale.

Voici ce que  disait  la Lettre Conseil de Proxinvest de juillet 2013 au sujet de cet accord signé en juillet 2012 et passé ensuite en convention réglementée lors de l’assemblée générale 2013 de Technicolor :

« Aux termes de cet accord, Vector Capital s’est vu accorder une représentation minoritaire au sein du conseil d’administration. Ces droits ont été accordés en contrepartie d’un certain nombre d’engagements pris par Vector Capital notamment : 
-ne pas solliciter le dépôt d’une offre publique par un tiers qui n’aurait pas été recommandée par le conseil d’administration ;
-conserver ses actions pendant 1 an ;
-ne pas acquérir, directement ou indirectement, seul ou de concert, 30% ou plus du capital de la société pendant une période de 18 mois ;
ne pas présenter de projets de résolutions à l’assemblée générale tendant à la révocation d’administrateurs, la nomination d’administrateurs ou une modification du nombre d’administrateur composant le conseil d’administration, pour une durée de 30 mois ;
-discuter de bonne foi avec la société tous les projets de résolutions qui seront soumis à l’assemblée générale, pour une durée de 30 mois ;
ne pas voter, en assemblée générale, de façon déraisonnable contre des résolutions qui auraient été approuvées par le conseil d’administration ou en faveur de résolutions proposées par d’autres actionnaires et qui ne seraient pas approuvées par le conseil, pour une durée de 30 mois.
-réaliser tous transfert de titres de la société de manière ordonnée afin d’éviter, dans la mesure du possible, tout effet défavorable sur le marché des titres. ./..
Il nous semble malsain que la société oblige Vector Capital à toujours voter dans le sens du conseil d’administration ou à ne pas pouvoir apporter ses titres à l’offre publique inamicale d’un tiers. L’accord se transforme ainsi en dispositif anti-OPA que nous ne pouvons soutenir…  Nous n’approuvons donc pas la résolution. »

 

Refréner ainsi un actionnaire en l’obligeant à l’allégeance nuit à la liberté des débats et opinions au sein des conseils d’administration et des assemblées générales et ne peut durer qu’un temps. Les actionnaires n’ont pas osé suivre Proxinvest et validèrent cet accord à 97% des voix.

Dans deux mois, la durée limite de 30 mois applicable à certains engagements tombera mais Technicolor reste engagé jusqu’en juillet 2016 à garder  à Vector Capital deux sièges au conseil d’administration tant que Vector détient un minimum de 5/8ème de son investissement initial ce qui est toujours le cas malgré la cession d’un peu plus de 7% du capital  en mars 2014.

La situation actuelle est tendue du fait de divergences stratégiques (non reconnues publiquement par Vector Capital toutefois). En effet, lors de l’AG 2014 Vector Capital votait contre le passage de la limite d’age statutaire du Président du CA de 70 ans à 75 ans, un tel rejet n’aurait pas permis à Didier Lombard d’en devenir Président. Proxinvest avait alors regretté que la modification d’âge ne se limite pas au cas spécifique de Didier Lombard et soit inscrite au delà de lui dans le marbre des statuts mais avait permis à la résolution de passer (70% de voix favorables, un peu plus que la majorité des deux-tiers requise) au regard de la saine volonté de la société de maintenir une présidence du conseil d’administration qui ne soit pas dans les mains du Directeur Général. 

 

L’article des Echos nous indique que le Président Lombard craint que la direction ne puisse présenter la stratégie aux actionnaires ( » Nous faisons cela pour décoincer la situation et pour pouvoir communiquer clairement notre stratégie auprès de nos actionnaires. Nous sommes tenus par notre devoir d’information ») , pourtant  Vector Capital ne dispose que de deux sièges au conseil d’administration et comme le rappelle Frédéric Rose , Directeur Général,  » L’unanimité moins deux, ça suffit pour agir « . Certes, maintenant que Vector Capital ne détient plus que 13% du capital, la captation de 20% des sièges apparaît  disproportionnée au regard des principes de gouvernement d’entreprise de Proxinvest et il serait bienvenu que Vector Capital abandonne un des deux postes d’administrateur alors qu’ils arrivent à échéance en 2015 .

 

La sur-représentation d’un actionnaire n’est en effet recommandable et on regrettera que cette recommandation n’ait pas été reprise dans le code de gouvernement d’entreprise de l’AFEP-MEDEF, probablement pour plaire à certains actionnaires de contrôle en place. Si l’on peut comprendre que vivre des séances du conseil d’administration unanimes et calmes soit plus agréable, que la direction pensait s’assurer de la fidélité du nouvel actionnaire sauveur par cet accord, le conflit illustre la difficulté des directions des sociétés à  supporter l’expression d’idées minoritaires alternatives, caractéristique propre pourtant des systèmes démocratiques.

En terme de gouvernance, il est probable que le conseil d’administration ne soutienne plus les administrateurs de Vector Capital lors de l’assemblée générale 2015 ou 2016 de Technicolor ce qui obligerait Vector Capital à utiliser  certainement son droit d’inscrire à l’ordre du jour des résolutions proposant ses candidats ou un conseil d’administration alternatif et d’éventuelles révocations d’administrateurs, voire son plan stratégique alternatif. Même si Vector Capital reste minoritaire avec 13% du capital, une telle assemblée serait bien entendu regardée avec intérêt.

Cette affaire fait sourire à la lumière de la nouvelle Loi Florange de mars 2014. Les parlementaires et le gouvernement pensaient naïvement protéger les sociétés françaises grâce au droit de vote double, à l’avantage réel d’une poignée de grands intérêts privilégiés (dont l’Etat actionnaire). Pour des raisons de complexité administrative et de coût bancaire d’inscription au nominatif, les actionnaires minoritaires étrangers ne s’enregistrent pas au nominatif et ne bénéficient donc pas du droit de vote double. Pour Proxinvest, il s’agit d’une grossière falsification des souhaites des actionnaires, une « méthode bananière « qui au passage décourage les investisseurs à investir dans nos sociétés françaises et augmente  leur coût du capital.

 

Selon la société qui nous a aimablement renseigné, Vector Capital ne s’est pas encore enregistré au nominatif mais en s’enregistrant dès à présent il pourrait devenir le grand gagnant de la Loi Florange en obtenant fin 2016 son droit de vote double, bénéficiant alors d’un poids disproportionné en termes de droits de vote par rapport à son investissement.

Il devient dès lors urgent que ce conseil d’administration de Technicolor propose dès l’AG 2015 de revenir statutairement au principe « une action – une voix » en espérant que Vector Capital n’obtienne pas la minorité de blocage du tiers des votants.   

Novembre 2014

P.S. : selon les Echos

« Comme le souligne le cabinet Proxinvest, il ne manquerait plus que la loi Florange, et sa ligne Maginot des droits de vote double censés fortifier l’industrie tricolore, fasse la courte échelle aux intentions de Vector. « 

http://www.lesechos.fr/idees-debats/crible/0203925930941-les-epines-dans-le-bouquet-1062748.php#gauche_article

 

 

La dernière étude de Proxinvest sur l’AG Technicolor de 2014 peut être commandée en ligne sur http://shop.proxinvest.fr/?ass=0100111515 

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