Renault présente au vote des conventions réglementées en résolutions 5 et 6 le 29 avril prochain son ’accord de stabilisation’ conclu avec l’Etat français suite à l’attribution du droit de vote double comprenant étrangement une modification de l’équilibre des pouvoirs entre Renault et sa filiale Nissan: un véritable hold-up de Carlos Ghosn sur le groupe Renault obtenu avec l’aide de ses administrateurs. Pour mémoire, Renault détient 43,44% de Nissan et Nissan détient 15% de Renault (mais pas de droit de vote). Suite à sa prise de participation, l’Etat français est devenu le premier actionnaire de Renault avec 19,74% du capital et 23,56% des droits de vote au 31 décembre 2015 et la dérive progressive de captation de pouvoirs par le PDG du groupe n’est pas nouvelle et facilitée depuis longtemps par un Etat naïf, complaisant sur ce dossier et depuis l’année dernière par une position maladroite d’Emmanuel Macron vis à vis des autres actionnaires.
Au prétexte d’une menace évoquée par Renault, suite à l’adoption du droit de vote double imposée par l’Etat, pour le fonctionnement de son alliance historique avec Nissan cet accord prétendait « pérenniser les relations entre les deux constructeurs automobiles », situation indispensable au regard des bienfaits de l’alliance Renault – Nissan (Cf. les Echos Week End*) . Toutefois la réalité finale est un abandon sans contrepartie des droits de Renault sur sa participation totalement contraire aux meilleures pratiques de gouvernance et de démocratie actionnariale.
Comment les administrateurs de Renault et l’Etat français ont consenti des clauses protectionnistes pour Carlos Ghosn?
Cet accord prévoit, d’une part en résolution 5, de plafonner pour certaines décisions les droits de vote de l’Etat en assemblée générale: si le quorum est inférieur ou égal à 70 % des actions ayant le droit de vote, les droits de vote de l’État français sont plafonnés à 17,9% des droits de vote exerçables de Renault, et si le quorum est supérieur à 70% des actions ayant le droit de vote, les droits de vote de l’État français sont plafonnés à 20% des droits de vote exerçables de Renault. Ce plafonnement porte sur l’ensemble des décisions relevant de la compétence de l’assemblée générale ordinaire, à l’exception de certaines décisions (affectation du résultat, option du dividende en actions, nomination des administrateurs représentants de l’Etat, cession d’actifs significatifs ou encore rachats d’actions). Pour les assemblées générales extraordinaires, l’État peut exercer l’intégralité de ses droits de vote, à l’exception de certaines décisions (attribution d’options ou d’actions, modification de la limite d’âge pour l’exercice des fonctions ou de la durée du mandat des administrateurs et des dirigeants mandataires sociaux,…).
Concrètement, cet accord permet à Renault et donc à Carlos Ghosn de conserver tout pouvoir sur les décisions stratégiques et l’impactant directement, à savoir en premier lieu sa rémunération. En effet, l’Etat français se retrouve privé de son droit de vote double, qui lui tenait tant à cœur, sur le vote de la rémunération de Carlos Ghosn et sur le vote de l’attribution des plans d’options ou d’actions. On rappellera que l’Etat français s’était opposé au Say on Pay de Carlos Ghosn ces deux dernières années et qu’il était probable qu’au titre de l’AG 2016 cette même résolution se voit rejetée au regard des droits de vote doubles qu’aurait acquis l’Etat et sous l’hypothèse d’un quorum stable. Deuxième sujet sensible pour Carlos Ghosn : la limite d’âge conférée par les statuts pour les fonctions de Président ou de Directeur Général. Ainsi, l’Etat ne pourra exercer ses droits de vote doubles sur ces questions, laissant M. Ghosn plus libre pour tenter de proroger la durée de son mandat aussi longtemps qu’il le souhaite.
L’Etat aura préféré sauvegardé son influence sur le niveau du dividende au détriment des bonnes règles de gouvernance concernant la succession du dirigeant, ses rémunérations et les droits des actionnaires. Cette renonciation de l’Etat actionnaire aux prérogatives recherchées avec l’opération contestable qui a porté son droit de vote de vote à 23% est évidemment non expliquée puisque celui-ci dans sa confusion, semble avoir accepté les arguments de Carlos Ghosn sur la prétendue indignation japonaise suite au bénéfice du droit de vote double pour l’Etat. Rappelons seulement ici que lors de la création de l’Alliance avec Nissan en 1999 l’Etat français détenait sans objection 44% des droits de vote de Renault.
Cet accord prévoit aussi que les résolutions soumises par un actionnaire autre que l’État, dites résolutions externes, ne sont pas soumises au mécanisme de plafonnement si l’État vote selon les recommandations du Conseil d’administration de Renault… Une énième mesure protectionniste du management au détriment des règles de la démocratie actionnariale et des droits des actionnaires.
Bref, l’actionnaire observera que l’Etat renonce étrangement à ses prérogatives normales d’actionnaire sans justification, concession bizarre qui ne saurait rassurer ni les citoyens, ni les actionnaires quant au sérieux de la gestion de cette participation. L’emprise de Carlos Ghosn sur son conseil d’administration est conséquente et consécutive de cette prise de pouvoir croissante. Il a su se rendre clé au milieu de l’alliance, présidant le conseil d’administration de Renault, de Nissan et le Directoire de Renault-Nissan BV. Il est affligeant de voir le conseil d’administration de Renault négocier des mesures projectionnistes pour la rémunération du dirigeant ou le futur prolongement de la limite d’âge du Président ou encore l’opposition aux résolutions externes d’actionnaires. La trahison des actionnaires par les administrateurs est claire.
En tant que partie intéressée à la convention, l’Etat ne pourra pas participer au vote de la convention réglementée objet de la résolution 5 de l’AG. Proxinvest appelle les actionnaires à rejeter cet accord.
Carlos Ghosn, premier dirigeant irrévocable ?
La résolution 6 met, elle, au vote l’abandon totalement injustifié de la part du Conseil d’Administration de Renault de ses droits légitimes d’actionnaire chez Nissan, détenue aujourd’hui à 43,44%, notamment sur toutes les questions essentielles de gouvernance chez Nissan. Selon la juste observation d’un commentaire du blog Médiapart « S’il est appliqué cet accord dit de stabilisation abandonne de fait à Carlos GHOSN, l’usufruit de la gestion de l’Alliance Renault Nissan, l’État français devant se contenter de jouer les rentiers. »
Le communiqué initial faisait état d’un « contrat entre Renault et Nissan ayant pour objet la non-interférence de Renault dans la gouvernance de Nissan, conservant une pratique en vigueur depuis 16 ans. » Mais cette formulation cherchait à tromper car il y a bien novation juridique. Renault, selon cette clause signée par Calos Ghosn pour Renault et par Carlos Ghosn pour Nissan, permettra au même Ghosn de n’être jamais inquiété par Renault désormais obligatoirement aligné sur les décisions et orientations du conseil de la grande société japonaise qu’il préside. Rappelons ici que Carlos Ghosn dispose de tous les pouvoirs opérationnels sur l’Alliance grâce à Renault Nissan BV (RNBV) au sein de laquelle il dispose es qualités, « Quoniam nominor leo », de droits de vote personnels bien supérieurs à ceux des représentants de chacune de deux sociétés cotées, eux-mêmes dirigeants des deux groupes et soumis à un lien de subordination envers Carlos Ghos. Un très confidentiel véhicule dans lequel a été transféré la majeure partie des décisions stratégiques et qui ne semble pas répondre des règles habituelles de contrôle et de gouvernance observées pour les grands groupes.
La présentation de cet accord demeure troublante du fait de l’omission d’une partie de la formulation figurant finalement au rapport spécial, Renault renonçant en assemblée générale de Nissan à désapprouver le conseil de Nissan ou ses résolutions pour la nomination, la révocation et la rémunération des membres du conseil d’administration de Nissan mais aussi à ne pas soumettre à l’assemblée générale de Nissan ou voter en faveur d’une résolution qui n’aurait pas été approuvée par les membres du conseil d’administration de Nissan. !
Comment un actionnaire de référence, probablement majoritaire le jour de l’assemblée générale de Nissan, peut-il s’interdire de participer à la nomination ou révocation d’un dirigeant d’une société dans laquelle il détient 43,4% des actions ?
Cet accord jamais vu, assurant l’irrévocabilité d’un dirigeant physique, injustifiable pour les actionnaires de Renault, va à l’encontre de toute règle de bonne gestion et de bonne gouvernance. La rémunération de Carlos Ghosn chez Nissan (1 035 M yens, soit environ 8M€), loin devant celle de ses concurrents Honda et Toyota, devient ainsi sanctuarisée sans l’intervention de l’actionnaire de référence. Il n’y a aucune raison pour Renault de renoncer à ses droits légitimes d’actionnaire au Japon. Il s’agit donc d’un accord de pur confort, profitant exclusivement au PDG de Renault et président de Nissan, désormais irresponsable devant le conseil de Renault donc devant les actionnaires.
L’abandon par les administrateurs de Renault de leur responsabilité de surveillance des actifs considérés – véritable hara-kiri sur une participation dans Nissan qui vaut environ 16 Mds $ – pose aussi à nos yeux un grave problème de loyauté.
Il n’y a aucune raison valable du point de vue de l’intérêt des actionnaires de Renault à un tel renoncement d’exercice de ses droits d’actionnaire aux assemblées générales de Nissan et Proxinvest appelle les actionnaires à rejeter cet accord, objet de la résolution 6.
Proxinvest est une société de conseil de vote aux investisseurs. L’étude complète de Proxinvest (« Lettre Conseil ») sur l’assemblée générale de Renault est diffusée par abonnement à ses clients et aux clients d’ECGS ou peut être commandée à l’unité sur les sites shop.proxinvest.fr (version française) et shop.ecgs.com (version anglaise).
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(*) CF. Les Echos Week End 18 Décembre 2015 « Carlos Ghosn, l’intouchable »
« Est-ce bien raisonnable ? L’absence de contre-pouvoirs solides a l’inconvénient de laisser prospérer les rumeurs. «