Le prix du virage stratégique que Bourbon soumet à ses actionnaires inquiète: nous l’avions écrit il y a un mois.

Les derniers développement nous engagent à poser cinq questions à l’émetteur et à l’AMF.

 

Paris le 29 avril 2016

Monsieur le Secrétaire Général de l’AMF,

Monsieur le Président de la société Bourbon,

Bourbon  propose de racheter pour 320 millions $ les 700 millions $ d’actifs et passifs gaziers de son actionnaire majoritaire Jaccar Holding, lequel ne pourra pas participer au vote d’approbation de cette opération en vertu de l’article L. 225.40 (« L’intéressé ne peut pas prendre part au vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité »). Il reste aux  seuls actionnaires non intéressés à valider ou infirmer cette décision stratégique.

Or, Bourbon, malgré nos demandes écrites, refuse de fournir aux actionnaires (« au nom de l’égalité des actionnaires ! »)  un des éléments d’information essentiels dont dispose son président, le vendeur, Jacques de Chateauvieux.  Plus grave, selon Proxinvest, ce dossier « peint la girafe », en invitant à approuver sur la seule base d’une prévision 2018 de l’EBITDA présentée le 28 mars dernier. Proxinvest, actionnaire qui demandait la communication des comptes des sociétés achetées, n’a rien reçu à ce jour.

Première question : la non-communication aux actionnaires des comptes audités des entités achetées, comptes dont disposent les dirigeants, ne constitue-t-elle pas, eu égard à l’importance de l’opération, un manquement à l’obligation de communication par Bourbon dans les plus brefs délais de toute information, susceptible, si elle était rendue publique, d’avoir une influence sensible sur leur cours de bourse  (art. L. 223-2 du règlement général de l’AMF) ?  Alors qu’aucun intérêt légitime, sinon l’intérêt personnel, ne peut  justifier de différer cette publication de l’information privilégiée, sa rétention n’est-elle pas de nature à induire le public en erreur?

Le rapport spécial des conventions réglementées, ou la brochure de convocation de l’assemblée, doit comporter les éléments permettant aux actionnaires non intéressés d’apprécier l’intérêt de chacune de ces conventions, qu’ils auront en l’espèce, eux seuls, à approuver. Le législateur a donc, sur la recommandation de l’AMF, souhaité en 2014 compléter l’article L.225-38 en faisant obligation  au conseil d’administration de motiver l’autorisation  « en justifiant de l’intérêt de la convention pour la société, notamment en précisant les conditions financières qui y sont attachées. »

Deuxième question : la non fourniture des comptes 2015 des actifs que Bourbon se propose de racheter et la non-communication de l’expertise dite indépendante ne constituent-t- elles pas pour la société et ses commissaires aux comptes un manquement à l’article  L.225-38 de nature à exposer l’assemblée générale à une annulation par le tribunal à la demande d’actionnaire opposés à cet investissement considérable et peu renseigné?

L’exposé des motifs qu’affiche le conseil d’administration de Bourbon vient d’apporter trois informations au sujet de la valeur de cette acquisition:

1/ la composition du comité « ad hoc » qui a approuvé l’opération à l’unanimité, après quatre réunions entre le 22 janvier 2016 et le 28 mars 2016: ça n’a pas été simple pour Philippe SALLE, Agnès PANIER-RUNACHER,  Baudouin MONNOYEUR, et Astrid de LANCRAU de BREON,  tous, espérons-le, bien informés des comptes des sociétés gazières de Jaccar…

2/ un extrait graphique des travaux de l’expert « indépendant » Dominique Ledouble, nous est présenté.

Cet extrait d’une demie-page repose sur des chiffres prévisionnels pour « l’année normative » –  on n’écrit pas 2018  – et pour cette année normative un Actif net corrigé en « année normative » de 405 M$ , un actif net estimé par Ledouble de 401 M$ (sans doute en « année normative , »)  , et même un «discounted cash-flow  de 500 M$ ,  ce qui permet cette conclusion qui peut sembler excessive sinon trompeuse : « Le montant total de la transaction de 320 millions de dollars (USD) fait apparaître une décote d’environ 20% par rapport à la valeur globale des deux pôles Greenship Gas et JHW issue de l’analyse multicritères de l’expert indépendant« .

Chacun comprend qu’ une « décote de 20% » par rapport à la une valeur globale prévisionnelle est toujours possible ! 2018 pourquoi pas 2020 ?  20% pourquoi pas 40% ? Il faut aller au Luxembourg pour trouver dans les comptes de Jaccar Holding les chiffres 2013 de Greenship Gas, dont le  chiffre d’affaires 2013  de 66 M$ et l’EBITDA 2013 de seulement 14 M$ qui font douter que 320 M € soit un prix décoté…

Troisième Question : si cette décote de 20% annoncée aux actionnaires ne repose que sur des prévisions confidentielles sans indication de l’année normative et sans faire référence à la valeur comptable 2015 de ces actifs,  peut-on parler ici d’information mensongère de la part du conseil?

3/ le rapport spécial des commissaires aux comptes, rappelle l’opération selon les termes du communiqué de mars 2016 annoncé et ajoute:

« Une diversification de BOURBON dans le cadre de cet investissement dans les services de logistique et de transport de gaz, et plus particulièrement en ce qui concerne l’Ethane. Cette diversification répondant aux objectifs de création de valeur dans un secteur en croissance, à travers une activité dont les revenus sont significativement contractualisés à long terme. »

« Le prix de la transaction faisant apparaître une décote par rapport aux valorisations tant du pôle Greenship Gas que du pôle JHW selon notamment les différentes méthodes tel que l’actif net réévalué, la méthode des DCF ou les multiples boursiers, permettant, pour le Conseil d’Administration, de considérer que l’opération est équilibrée pour la société et ses Actionnaires. » La valeur d’acquisition de 320 M$  n’est ainsi justifiée que par une référence au rapport d’expertise non publié, mais aucunement aux comptes audités des entités acquises.

Quatrième question : les commissaires aux comptes en confirmant que « Le prix de la transaction fait apparaître une décote par rapport aux valorisations selon notamment les différentes méthodes » sans préciser qu’il s’agit de l’application de des prévisions imaginaires et subjectives,  alors que les chiffres audités ne sont pas évoqués, ne s’associent-ils pas à une démarche de nature à tromper le public ? 

Le vote de ces conventions en résolution 4 à l’assemblée préoccupe sans doute le conseil, car celui-ci entend prendre des libertés inattendues avec le contrôle normal et régulier des conventions réglementées:  il annonce :

« JACCAR Holdings intéressée à l’opération exercera les droits de votes dont il dispose de manière à ne pas influencer la décision au titre de la résolution n° 4. JACCAR Holdings voterait « pour » à hauteur de la moitié de sa participation et s’abstiendrait (équivalent à un vote contre) pour le solde afin de neutraliser l’impact de son vote. Il en sera de même de MACH INVEST (Henri de Chateauvieux, autre associé de Jaccar Holding) au titre de la résolution n° 4 qui, sans être intéressé à l’opération, exercera aussi les droits de votes dont il dispose de manière à ne pas influencer la décision au titre des règles de bonne gouvernance et compte tenu de l’importance de l’opération. MACH INVEST voterait « pour » à hauteur de la moitié de sa participation et s’abstiendrait (équivalent à un vote contre) pour le solde afin de neutraliser l’impact de son vote. » En cas  de faible participation cette résolution serait ainsi votée avec un quorum irrégulier.

Cinquième question : en annonçant par avance qu’elle entend ne pas respecter lors de l’assemblée générale l’article  L. 225.40 (« L’intéressé ne peut pas prendre part au vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité« )  et que les titres des actionnaires intéressés JACCAR Holdings et MACH INVEST seront pris en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, la société n’expose-t-elle pas son assemblée générale des actionnaires à une annulation par le tribunal à la demande d’actionnaires opposés à cette opération peu renseignée ?

Telles sont les cinq questions que posent le refus de répondre qu’oppose la société.

Veuillez agréer, Messieurs, l’expression de nos salutations distinguées.

Proxinvest

 

 

 

 

ANNEXE : Réponse initiale de Bourbon aux premières questions de Proxinvest

 

Je fais suite à nos différents échanges.

 

Ainsi qu’il ressort du rapport de gestion du conseil d’administration à l’assemblée générale – intégré au document de référence 2015 de la Société publié sur son site Internet –  le conseil d’administration, fort des travaux du comité ad hoc, a rendu un avis favorable à l’opération, sur la base des travaux menés par le cabinet Ledouble dont une synthèse figure également audit rapport de gestion (page 75 du document de référence).

 

Par ailleurs, le rapport spécial des Commissaires aux comptes relatif à cette opération, qui entre dans le champ des conventions réglementées, sera mis à disposition des actionnaires dans les délais légaux, mais peut d’ores et déjà être consulté en page 170 du document de référence 2015.

 

Comme vous l’imaginez, Bourbon porte le plus grand soin à strictement respecter l’égalité entre actionnaires et à ne divulguer aucune information autrement que par une information générale et accessible à tous.

 

Quant aux autres informations que vous sollicitez, celles-ci dépassent largement le cadre des informations qui sont usuellement fournies aux actionnaires appelés à approuver une convention entre parties liées, de sorte que nous ne pouvons y satisfaire.

 

Monsieur de Chateauvieux a été informé de votre appel. Il est actuellement en déplacement et propose de vous rappeler au plus tôt.

 

Je vous prie d’agréer, cher Monsieur l’assurance de mes sincères salutations

 

 

James D. Fraser, CFA

Vice President Investor Relations

BOURBON

148 rue Sainte, 13007 Marseille, France

Phone : +33 4 91 13 35 45 (Int.: 33045)

Cellular : +33 7 78 24 22 90

E-mail : james.fraser@bourbon-online.com

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