La récente publication du décret d’application sur le Say on pay contraignant est venue lister de manière plutôt exhaustive les formes de rémunérations des dirigeants qui entreront dans le champ de la loi en tentant d’être le plus exhaustif possible. Bien sûr ce décret est assez tardif, beaucoup d’entreprises ont déjà dû préparer des projets de politique de rémunération dont les niveaux de précision et de pertinence se présentent très disparates.  D’une manière générale, trop de sociétés françaises sont restées attentistes, obnubilées par la Loi alors que le code de commerce n’est là que pour définir un cadre et que les grands investisseurs attendent un dialogue de qualité sur les sujets de gouvernance. Il reste beaucoup à faire pour que la culture du dialogue actionnarial et de l’autorégulation s’impose en France.

La saison des assemblées peut désormais commencer. Cette Loi Sapin 2 dérange les habitudes et elle ne manquera donc pas d’être critiquée mais elle repose sur un principe simple et sain : écouter ses actionnaires et vivre dans un marché où seules les rémunérations validées par l’assemblée générale peuvent être attribuées plutôt que d’évoluer dans un entre-soi où l’opinion des actionnaires n’a parfois pas été entendue. Si les conseils d’administration font bien leur travail, il n’y a d’ailleurs pas de raison pour que les politiques de rémunération des dirigeants soient refusés.

Car je pense qu’il ne faut pas s’attendre à une explosion des rejets de résolutions sur la rémunération des dirigeants. En Suisse par exemple – là où les actionnaires avaient le plus de droits -, certains actionnaires se sont montrés frileux face au vote contraignant et préfèrent parfois voter uniquement contre le vote consultatif.

Les suffrages des actionnaires sur les résolutions françaises en assemblée générale (AG) cette année vont d’ailleurs cumuler deux types de votes : contraignant en vertu de la loi Sapin 2 sur la partie ex ante, et consultatif sur les rémunérations dues au titre de l’exercice 2016, en vertu du code Afep – Medef. En pratique, lorsque les problèmes sont structurels, et sauf à être corrigés dans la nouvelle politique de rémunération pour 2017, il devrait généralement apparaître logique  de voter dans le même sens pour les deux résolutions.

L’assemblée générale a trop souvent été contournée ou réduite à une simple chambre d’enregistrement par le passé et il désormais appréciable que l’avis des actionnaires soit requis sur des sujets tels que les golden hello ou les primes exceptionnelles par exemple.

Dans ce nouveau contexte, certaines assemblées générales s’annoncent moins houleuses que d’autres. Si vous êtes à la tête d’une société que vous contrôlez, alors vous n’avez pas beaucoup de souci à vous faire puisque vous prenez part au vote… A l’inverse les sociétés avec un large flottant peuvent connaitre des difficultés. Concernant le cas spécifique de Renault, la situation s’annonce compliquée pour l’AG décalée cette année à la mi-juin. Les 15 millions d’euros attribués par Renault et Nissan avaient autant choqué que l’absence de réaction au vote négatif des actionnaires lors de l’AG 2016. Ce vote négatif n’a été suivi que par une baisse annoncée lors de l’été de la rémunération annuelle variable cible de 300.000 euros, ce qui ne représente que 2% de son package de rémunération total pour 2015… Autant dire, presque rien par rapport aux réelles attentes des actionnaires.

Plus largement il faudra voir si les grands actionnaires étrangers sont prêts à s’opposer aux rémunérations les plus élevées en France alors même que les pratiques, notamment aux Etats—Unis, sont encore plus disproportionnées par rapport au commun des mortels ou à la performance intrinsèque des groupes.

La Loi Sapin 2 introduit à partir de 2018 un second vote des actionnaires  dit « vote ex-post » autorisant le conseil à verser les rémunérations variables ou exceptionnelles. Ceci semble de nature à rendre les conseils d’administration plus exigeants dans la définition des objectifs de performance et plus prudent dans la détermination des montants.  D’ailleurs, dans la mesure où un conseil d’administration fixe dès le départ une politique de rémunération variable raisonnable,  le risque d’un refus de versement en 2018 s’en trouve mécaniquement réduit.

Il est assez clair que ce second vote contraignant – qui n’existe pas ailleurs – sera scruté par les pays étrangers sur son efficacité. Car la France est clairement devenue le pays où les actionnaires ont désormais le plus de droits de contrôle sur la rémunération de leurs mandataires sociaux, un vrai laboratoire modèle comme ont pu l’être le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Australie ou la Suisse lors des quinze dernières années.

Par Loïc Dessaint, 4 avril 2017


Article original publié sur Agefi.fr 

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