SNAPSHAT_NYSESNAP Inc., développeur de la plateforme Snapchat, entend profiter de la promotion médiatique pour les réseaux sociaux et valeurs technologiques et espère lever  trois milliards de dollars dans une opération d’introduction en bourse qui valoriserait la société entre 20 à 25 milliards de dollars!

Cette estimation, bien supérieure aux plus récentes, est à mettre en perspective aux 4,3 milliards de dollars obtenus lors des vingt-six introductions en bourse de valeurs technologiques aux Etats-Unis en 2016. Au-delà d’une valorisation astronomique, qu’en est-il de la démocratie actionnariale quand on apprend que les souscripteurs ne bénéficieront d’aucuns droits de vote.

Proxinvest tient à souligner les risques inhérents à cette opération que l’on peut résumer en trois aspects abusifs : l’absence de responsabilité de la société devant ses actionnaires, le prix, supposé, mais déjà ahurissant de la souscription proposée, et la politique de rémunération qui révèle l’immaturité des dirigeants.

Proxinvest attire l’attention sur les risques inhérents trois aspects abusifs de cette opération : l’absence de responsabilité de la société devant ses actionnaires , le prix ahurissant de la souscription proposée et la politique de rémunération qui révèle l’immaturité des dirigeants

Un risque de gouvernance sans contrôle

Les fondateurs, Even Spiegel, 26 ans, et Bobby Murphy, 28 ans, suivent les pas de leurs ainés. En 2004 lors de l’introduction de Google, les fondateurs Sergey Brin et Larry Page avaient conservé un contrôle de 60% des droits de vote. Mark Zuckerberg de même gardait la main de Facebook lors de son introduction en 2012, et, l’année dernière, retirait aux actionnaires leur droit de vote pour en garder personnellement 60%, après avoir offert la plus grande partie de ses titres à sa fondation personnelle.

SNAP proposera trois classes d’actions.

Trois classes d’actions seront émises par la société : des actions de classe A,B et C auxquelles seront attachés différents droit de contrôle.

Les 512 millions d’actions de Classe A n’auront aucun droit de vote. Les fondateurs conserveront chacun  21.8% de ces actions, tandis que les investisseurs en capital risque (« venture capital funds »)  Benchmark Capital Partners et Lightspeed Venture Partners en conserveront respectivement 12.7% et 8.3%.Mitchell Lasky, associé gérant au sein du fond de capital risque Benchmark, obtiendra 12.7% de ces actions.

Les actions de Classe B, disposant d’un droit de vote par action, seront détenues majoritairement par  les mêmes investisseurs : Benchmark (22.8%), Lightspeed (15%), et Lasky (22.8%).

Spiegel and Murphy, les fondateurs, s’octroieront à part égale la totalité des actions de Classe C dotées de 10 droits de vote chacune, soit 88.6% des droits de vote sur la société.

Après l’introduction, les actions de classe B perdront, en cas de cession ou de décès du détenteur, leur droit de vote, devenant des actions de classe A. De même, les actions de classe C se convertiront en actions B en cas de cession ou de décès du détenteur, perdant leur privilège, sauf en cas cession entre les deux fondateurs. Tant que les actions C subsisteront, les actions de classe A n’auront pas de droit de vote. A termes les deux fondateurs pourront contrôler plus de 90% des droits de vote de la société.

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Source: S-1 SEC filing

Les fondateurs ont ainsi une prime de contrôle de 2,9 fois leur intérêt économique ce qui rompt le principe d’alignement souhaitable « une action une voix ».

Dans une récente étude, les agences américaines IRRC et ISS ont observé que les sociétés à droit de vote simple cotées sur l’indice composite  S&P 1500  ont, à fin Août 2012, surperformé les sociétés à droit de vote double ou multiple sur trois, cinq et dix ans. Les secondes n’ont surperformé l’indice que sur une période courte d’un an suivant leur introduction, entre 1990 and 1998[i].

Certes, le dépouillement des droits de l’actionnaire ne tarit pas l’enthousiasme des investissements dans les start-up mais les fondateurs de SNAP n’ont-il pas ici été trop loin ? Le Council of Institutional Investors (CII), qui comprend des centaines d’institutionnels comme CalPERS (California Public Employees Retirement System) ou Aberdeen Asset Management, a récemment écrit à Spiegel, Murphy, et au président désigné de SNAP Michael Lynton, afin de les convaincre de revenir à une pratique de droit de vote simple en ligne avec les conclusions de l’étude IRRC.

 

Récemment créer, l’Investor Stewardship Group (ISG), qui regroupe seize investisseurs institutionnels de taille comme Blackrock et Vanguard, rejette les droits de vote double ou multiple dans ses principes fondateurs. Selon l’ISG « Les actionnaires doivent bénéficier de droits de vote en proportion de leur intérêt économique ». Cependant, ils visent la date du 1er janvier 2018 comme limite pour appliquer leurs principes[ii].

Une valorisation insensée

Une valorisation de 25 milliards pour SNAP, soit 62 fois les ventes 2016,  pour une perte annuelle et un EBITDA négatifs de 459 millions. L’estimation du prix d’introduction, qui n’est pas encore fixé, valorise la société 25 fois les ventes estimées pour 2017, beaucoup plus que pour Facebook ou Twitter. C’est surtout ces chiffres insensés qui rendent perplexe le marché !

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Si la marge brute de SNAP était négative de 12% pour l’année 2016, Twitter présentait une marge brute de près 63% sur la base d’un revenu équivalent. Cette marge brute s’expliquerait par la décision de SNAP d’utiliser la plateforme « cloud » de Google pour stocker ses immenses données au prix d’un paiement annuel minimum de  400 million de dollars!

Si le chiffre d’affaires attendu pour 2017 s’élèvera à 1 milliard de dollar après $405 million en 2016, on s’inquiétera de l’arrivée de la concurrence sous la forme des “Instagram Stories” récemment introduites par Facebook.

Malgré son introduction en 2013, le marché semble aujourd’hui sceptique sur les perspectives de développement de Twitter, qui a perdu 61% de sa valeur. A l’inverse, Facebook, contredisant ses critiques, avait vu son titre rebondir, après une glisse de 50%, pour atteindre aujourd’hui 350% son prix d’introduction.

On admettra que face à de telles incertitudes, la capacité donnée aux actionnaires de changer de dirigeants, semble nécessaire.

Rémunérations  incontrôlables ?

L’examen des rémunérations pratiquées dans cette start-up révèle que SNAP rémunère plus le potentiel de performance que la performance elle-même.

Figure 3: SNAP executive compensation in FY 2016 and FY 2015.

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Source: S-1 SEC filing

Le jeune fondateur et directeur général Evan Spiegel, s’est dejà payé 2,4 millions de dollar cash en rémunération pour 2016, en plus des actions de classe A, reçues comme dividende pour ses actions. SNAP a certes annoncé que, post-IPO, sa rémunération consistera en un salaire symbolique de 1 dollar, suivant là encore la pratique adoptée par Mark Zuckerberg et les fondateurs de Google. Mais il recevra de surcroit une récompense spéciale pour “le succès de l’introduction” équivalente à 3% de toutes les actions émises à la clôture de l’opération, soit en estimation 600  à 750 million de dollars en nouvelles actions de classe C. Il deviendrait alors désormais le premier actionnaire, loin devant son collègue Murphy !

SNAP avait déjà surpris le marché l’an dernier en embauchant Imran Khan, ancien de Crédit Suisse au poste de Chief Strategic Officer, lui offrant à l’embauche 7 millions d’unités salariales de performance « restricted share units ou RSUs),» d’une valorisation de 146 million de dollar, soumises à une condition de présence et à des conditions de performance. Selon le document S1, la condition de performance pourra être satisfaite par l’occurrence d’un évènement qualifiant « comme un changement de contrôle ou la date fixée d’une introduction en bourse » !

En décembre 2016, SNAP avait déjà émis pour 1.5 milliard de dollar de ces RSU non- exerçables par rapport aux deux conditions (présence et performance). Si l’introduction en bourse avait eu lieu le 31 décembre SNAP aurait dû reconnaitre une provision colossale de 1,1 milliards pour les RSUs exerçables ayant remplis la condition de présence !

Paradoxalement le succès de l’introduction se traduira en une énorme source de rémunération pour les collaborateurs qui, à la différence des actionnaires, grâce aux faibles conditions de performance, ne subiront aucune perte au cas de  correction massive du prix « à la Twitter ».

Que faut-il en retenir?

Si SNAP devient le prochain Facebook et se redresse après une première baisse, les Cassandres que nous sommes seront bâillonnés puisque les investisseurs récupéreront leur mise. Mais le risque est gros de tout perdre et de ne jamais pouvoir changer le management.

Proxinvest sans réitérer son enthousiasme pour les technologies d’avenir des Google, Facebook, Twitter ou SNAP s’interroge cependant sur les termes du contrat faustien : vendre une aventure incertaine fondée sur l’avidité financière sans limite de ses dirigeants, sans aucun sens de la responsabilité vis-à-vis des actionnaires donc vis-à-vis des clients, des collaborateurs et du public.

Seul le dévouement d’un syndicat bancaire particulièrement dévoyé peut justifier de tels chiffres et de telles perspectives et ces promesses ne sauraient remplacer le principe de responsabilité dans le succès comme dans l’échec.

L’avenir seul nous dira si l’investisseur gagnera à souscrire à de tels excès et à de telles méthodes.

 

Imad Barake

 

 

 

 

 

[i] Lukonik, Jon and Sean Quinn. Controlled Companies in the Standard & Poor’s 1500: A ten Year Performance and Risk Review. IRRC Institute and ISS. October 2012

[ii] CII letter : http://www.cii.org/files/issues_and_advocacy/correspondence/2017/02_03_17_SNAP_IPO.pdf


 

 

 

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