Voici près de dix ans que Jacques de Chateauvieux, impétueux créateur du Groupe Bourbon, semble trahir ses actionnaires en finançant  ses projets personnels sur les besoins de Bourbon sans aucun égard pour ses associés. Depuis son plus haut à 45 euros en mai 2007 l’action Bourbon a déçu depuis  que le groupe de services maritimes a dû jouer les premiers  clients des chantiers navals de Chine de son président… Bourbon qui représentait le quart du carnet d’ordres de ces chantiers et dont l’activité off-shore souffre de la crise pétrolière aura vu son action finalement toucher moins de 10 euros début février 2016, malgré l’OPA de Jaccar  sur Bourbon en 2014 (à 23 euros l’action hors dividende de l’exercice de 2013).

Voici donc dix ans que le titre de cette affaire initialement taillée pour la gagne ne fait que perdre de la valeur… simplement parce que son premier dirigeant, plein de talents,  a joué perso, sans égard pour ses minoritaires.

Après la création d’un pure player leader des services maritimes à l’offshore pétrolier, il serait désormais temps selon le fondateur de se diversifier dans le transport du gaz. Par coïncidence, la holding de contrôle du groupe Jaccar, elle-même détenue par Jacques de Chateauvieux a actuellement des actifs à vendre et Jacques de Chateauvieux, Président et propriétaire de Jaccar, propose donc à jacques de Chateauvieux, Président de Bourbon, que Bourbon rachète son activité de transport maritime de gaz.

L’annonce de l’acquisition pour 320 millions de dollar des actifs gaziers de la holding majoritaire, Jaccar Holdings,  (100% de Greenship Gas, un « shipping trust » singapourien, de 100% de Greenship Gas Manager, entité responsable de la gestion du « shipping trust » Greenship Gas, et de 80% de JHW Engineering & Contracting Limited) n’est pas une bonne nouvelle.

Si l’opération est déjà bien financée, on comprend hélas trop bien pourquoi. Les banquiers de Jaccar Holdings préfèrent probablement maintenant le risque Bourbon au risque Jaccar. De plus Bourbon qui prétend investir dans  « une part de marché de plus de 50 % d’un marché attendu en forte croissance », justifie ainsi d’un prix que l’on présume très généreux pour Jaccar mais procédera,- c’est déjà fixé et plutôt incohérent –  à la revente de 80 % de la propriété des navires qu’il aura pris en location coque nue pour un minimum de dix ans. concevoir que cette acquisition miraculeuse va améliorer la situation de Bourbon  à terme.

Hélas pour ses actionnaires minoritaires, les tocades personnelles incontrôlée de Jacques de Chateauvieux ont mené son groupe « Bourbon Beyond Bourbon »,  bien au-delà du raisonnable. Les actionnaires qui restent, malgré les multiples avertissements passés de Proxinvest depuis dix ans seront bien inspirés de refuser cette opération qui semble surtout servir l’agenda de son fondateur et des banquiers de Jaccar.

La décision ne relève que des minoritaires, puisque, comme le rappelle la société,  la loi interdit au bénéficiaire de voter pour lui-même une telle convention réglementée.

Les questions restent multiples à ce stade et sans réponse.

La valorisation des actifs apportés est-elle juste? A ce stade Bourbon ne communique presque aucun élément financier, se contentant de dire qu’un comité ad hoc avait été créé et un expert indépendant nommé.

Jacques de Chateauvieux indique que le prix d’acquisition fait ressortir une décote de 20% sur l’analyse multi-critère de l’expert indépendant et le débat sur l’expertise indépendante pourrait alors resurgir (cf. cas Orchestra , Club Med ). Il indique également que les actifs cédés ont été valorisés l’équivalent de 6X L’EBITDA 2018 et 6 X EBIT. Entre les lignes, faute de résultats actuels permettant de justifier de telles valorisations, il faudra deviner les résultats futurs ou plus raisonnablement faire confiance aux projections optimistes du vendeur, qui ne donne rien sur l’EBITDA 2014 et 2015…

Le risque financier pour les actionnaires minoritaires lié à la valorisation des actifs sera d’autant plus élevé que la valorisation risque d’être compliqué. Greenship Gas était encore dans un passé récent une affaire plutôt petite. Mais la flotte a été et est toujours en cours de renouvellement.

Le risque est grand que cette activité, développée en seulement trois ans chez Jaccar, ne soit transféré assez rapidement au prix fort.

L’opération-a-t-elle pour objectif de sauver la holding personnelle Jaccar Holding ou lui permettre de réduire son endettement? A ce stade les actionnaires ne sont pas informés de la situation financière de l’actionnaire de contrôle et Colette Neuville (ADAM) a beau eu réclamé à juste titre dans de nombreux dossiers que la situation d’endettement des actionnaires de contrôle soit communiqué aux actionnaires minoritaires, ni l’AMF ni le gouvernement n’a répondu à cette légitime demande pour une meilleur information du marché. La situation financière de Jaccar est d’autant plus préoccupante que la holding a lancé une OPA sur Bourbon à 24€ en 2014, un niveau 77% plus élevé que le cours au 8 avril 2016,  afin de pouvoir en contrôler la majorité du capital et que la note d’offre publique mentionnant le recours « à un endettement significatif ».

D’autres actifs de Jaccar semblent dans une situation financière difficile. Ainsi la SAPMER va plutôt mal avec une nouvelle perte nette et un endettement égal à deux fois ses capitaux propres.  Jaccar Holding semble aussi présenter des difficultés à sortir de Sinopacific dont il détient 25% du capital, une volonté de cession pourtant affichée depuis quelques années.

Dans le meilleur des scenarios, Jaccar n’a plus la capacité financière de financer la croissance de ses nouvelles activités de transport de gaz et se résout à demander de l’aide à des tiers. Dans ce cas, des fonds de Private Equity ont-ils été sollicités et ont refusé?

Y-a-t-il des synergies à attendre de ces acquisitions? Non. Déjà en 2014 lors de la note relative à l’offre publique, Jaccar indiquait n’anticiper « aucune synergie particulière au titre de l’opération envisagée. Il rappelle que les activités de sa filiale Greenship ne comprennent pas d’activités de service mais de transport « . La stratégie adoptée est clairement une stratégie de diversification, en rupture avec la construction du pur player leader mondial Bourbon.

Quelle conséquence sur la gouvernance de Bourbon? La conséquence immédiate est le retour officiel de Jacques de Chateauvieux aux commandes de Bourbon qu’il n’a jamais négligée. Il en redeviendra Président du conseil et Directeur Général, estimant qu’il est la personne idéale pour faciliter l’intégration des nouvelles activités…Episode « retour du sauveur qui n’était pas parti ».

Les risques sont lourds : ce sera aux actionnaires de se prendre en main en analysant attentivement ce dossier et en bloquant cette opération lors de la prochaine assemblée générale, une énième opération abusive.

 

 

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