Parmi les groupes cotés, Pierre & Vacances est un des rares permettant d’investir dans l’expertise liée à l’exploitation de résidences et de villages touristiques en Europe.  La société tiendra son assemblée générale ce 4 février 2016. L’occasion de revenir sur une pratique de la société : le droit de vote double.

Le droit de vote double : une récompense des investisseurs à long terme?

Pierre & vacances est détenue à 44% du capital par la holding SITI de son fondateur M. Brémond, un droit de vote double attribué après deux ans de détention permet à son fondateur de contrôler 62,5% des droits de vote. Le second actionnaire, la Financière de l’Échiquier, une société de gestion indépendante très renommée sur la place de Paris, détient 8,5% du capital mais seulement 6% des droits de vote car elle ne dispose pas du droit de vote double.

Actionnaire court-termiste la Financière de l’Échiquier? Non, elle a déclaré avoir franchi le seuil des 5% du capital dès septembre 2010, il y a plus de cinq ans, bien plus que la durée de détention requis par la Loi et par les statuts de P&V. Sur 2011-2015, le cours P&V aura pourtant été divisé par deux et la société de gestion, comme nombre de ses confrères, est toujours actionnaire. L’investissement en actions nécessite un certain niveau de confiance dans l’activité et la stratégie poursuivie. En fait, mis à part la holding SITI et quelques actionnaires particuliers représentant une partie plutôt faible du capital, les autres investisseurs ne bénéficient pas du droit de vote double même s’ils sont actionnaires depuis de nombreuses années. La Financière de l’Échiquier se voit par exemple priver du droit de vote double, comme toutes les sociétés de gestion français et étrangères du fait d’un détail technique : elle détient ses titres « au porteur » et non « au nominatif ».

Le cauchemar administratif de l’enregistrement au nominatif des actions détenues par les OPCVM

Le nominatif est un mode de détention qui oblige l’actionnaire et son intermédiaire financier à déclarer dans le « registre des actionnaires au nominatif » de la société  tout mouvement à la hausse ou à la baisse de sa position et ceci via des modalités d’un autre temps. Pour bénéficier du droit de vote double, le gérant d’actifs devrait inscrire ses titres au nominatif. Il existe deux types d’enregistrement au nominatif, le nominatif pur et le nominatif administré.

Sous la forme du nominatif pur, l’investisseur perdrait tout lien avec son intermédiaire financier et il aurait autant de comptes « au nominatif pur » qu’il aurait de lignes d’actions dans chaque OPCVM (ex: une société de gestion gérant 50 OPCVM de 30 positions en moyenne se retrouverait détenteur de 1500 comptes différents…).  Le nominatif pur est donc un cauchemar comptable inenvisageable pour une société de gestion.

Sous la forme du nominatif administré, tout mouvement à l’achat ou à la vente d’un OPCVM doit faire l’objet d’une déclaration de l’intermédiaire financier à l’émetteur. Le gérant de l’OPCVM doit acheter les titres puis informer son intermédiaire financier de son intention de les transférer au nominatif administré. La complexité opérationnelle à mettre en place est élevée puisque l’intermédiaire financier devra remplir un Bordereau de Référence Nominatif (BRN)  qui devra circuler entre la société émettrice, le dépositaire Central (Euroclear France dans el cas de P&V) et l’intermédiaire financier (le teneur de compte de l’OPCVM). Bien sûr il faudra répéter ce complexe échange lors de tout achat ou toute vente, même minime, et autant de fois que la société de gestion gère d’OPCVM qui décident d’investir sur la valeur. En effet, ce n’est pas la société de gestion mais chaque compte titre qui est enregistré dans le registre des actionnaires au nominatif.

Nominatif : l’exemplarité d’Air Liquide

S’il est inefficient pour les grands investisseurs, le nominatif peut être un excellent système pour les petits actionnaires qui possèdent peu de lignes et veulent recevoir directement de l’information de la société.  Il n’est toutefois acceptable qu’à condition de ne pas remettre en cause l’égalité de traitement entre actionnaires. C’est cet équilibre, bâti sur le respect de tous les actionnaires sur toutes leur forme de détention, qu’a trouvé Air Liquide depuis longtemps. En demandant à l’assemblée générale 2015 de maintenir une seule voix par action (« Une action – Une voix), Air Liquide a réaffirmé son engagement pour un traitement équitable des actionnaires.

Le dévoiement du droit de vote double 

Le droit de vote double a été détourné de son objectif initial de récompense de l’actionnariat à long terme. Il s’est transformé en un instrument de dilution des droits de vote des actionnaires minoritaires permettant à des actionnaires de référence de s’affranchir des meilleurs pratiques. Ainsi, aux AG 2015, 21 résolutions supplémentaires auraient été rejetées en France si les règles normales de démocratie actionnariale s’étaient appliquées.

Un actionnaire de référence peut-il en France facturer la société cotée sans respecter la procédure des conventions réglementées et consulter l’assemblée générale?

Le droit de vote double n’encourage pas à la responsabilité et au respect des minoritaires. Des lacunes sont par exemple constatées chez Pierre & Vacances. Cette année encore, Proxinvest note que le rapport spécial des commissaires aux comptes sur les conventions réglementées de P&V ne comprend pas la convention de prestations de service conclue entre SITI et la société fixant les modalités de refacturation par SITI à la société des rémunérations des membres du comité exécutif. Or, selon l’Article L 225-38 le rapport spécial doit couvrir « Toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et son directeur général, l’un de ses directeurs généraux délégués, l’un de ses administrateurs, l’un de ses actionnaires disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ». Proxinvest est en désaccord avec la société et les commissaires aux comptes, Ernst & Young et A.A.C.E. Ile-de-France, qui qualifient cette convention comme courante et n’estiment donc pas essentiel de la faire figurer au rapport spécial. Ce type de convention conclue entre une société et son actionnaire de contrôle n’est pas rare en France et se retrouve toujours au sein du rapport spécial dans les autres sociétés.

Rappelons que cette convention permet à l’actionnaire de contrôle de facturer des honoraires au titre des prestations réalisées par Gérard Brémond et d’autres dirigeants. Ces honoraires sont indiqués être déterminés sur la base des coûts directs (rémunérations versées + charges patronales attachées + autres coûts directs : frais de déplacement, coûts des locaux, frais de secrétariat) majorés d’une marge de 5% et calculés au prorata du temps passé par chaque individu dans le cadre de la gestion de l’activité des sociétés du Groupe Pierre & Vacances-Center Parcs. Au total, pour l’exercice 2014-2015, ces rémunérations s’élèvent à 2 360 197 €. Cela peut paraître peu élevé à certains mais il n’en reste que cela représente presque l’équivalent du résultat opérationnel 2013/2014, et 22% du résultat opérationnel 2014/2015, dans un contexte où le bénéfice consolidé est toujours une perte et que la société ne verse plus de dividende depuis l’exercice 2010/2011.

Rappelons également que sous un enrobage de simplification administrative sur lequel tout le monde adhère, la « loi de simplification administrative du 22 mars 2012 » a supprimé le rapport sur les conventions courantes. L’intéressé bénéficiaire n’a plus à informer le Président du conseil d’administration et  les commissaires aux comptes et actionnaires n’ont donc plus la capacité de vérifier ce que la société qualifie de « courante ou conclu à des conditions normales ». Ce rapport sur les conventions courantes conclues avec des parties liées avait le mérite d’existe pour vérifier en cas de besoin que n’y figure pas des transactions impactant négativement la gouvernance ou transférant une partie de la valeur.

Il conviendrait de  rétablir cette procédure des conventions courantes afin de permettre un investissement et un contrôle de ces sujets de manière informée. Par ailleurs, les contrats avec l’actionnaire de référence devraient devenir une exception si le capital est partagé avec d’autres actionnaires. Ces contrats avec cette partie liée particulière qu’est un actionnaire de contrôle devrait faire l’objet d’une ratification obligatoire des autres actionnaires en assemblée générale avant de pouvoir être mis en oeuvre. Sans une telle réforme, le cadre juridique français reste permissif à des transferts de valeur faciles et massifs au détriment des actionnaires minoritaires et le fonctionnement du marché défaillant, générant méfiance et coût du capital élevé…

 

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