Pour financer l’achat prévu de Cablevision conforter l’émission difficile de 6,3 milliards de dollars d’obligations, Altice grâce à ses banques a encore augmenté de 10 % son capital le 1er octobre pour environ 1,8 milliard d’euros… les dirigeants n’ont souscrit que les actions B à 25 droits de vote,  mais les banques garantes auraient, elles, cyniques ou naïves, ont souscrit massivement aux actions A à un seul droit de vote…avant de les vendre aux investisseurs institutionnels.  Altice beware…

Altice  présente pourtant une gouvernance pire qu’une commandite, et son développement sur fort endettement à long terme et gestion interne très contestable, son mépris du respect des contrats, répond, on va le voir, du soutien d’un système bancaire totalement grégaire et concentrationnaire.

 

Un nouveau géant des télecom

Le groupe Altice, qui contrôle SFR-Numericable est rapidement devenu un géant  des télécoms et des médias, avec un portefeuille s’étendant de Numericable-SFR, à Portugal Telecom, BFMTV, RMC, Libération,  L’Express et  i24news en Israël, puis une première acquisition américaine en 2015 avec Suddenlink Communications pour 7 milliards de dollar, le septième câblo-opérateur américain. Il vient d’annoncer le rachat du câblo-opérateur américain Cablevision pour un montant le valorisant à hauteur de 17,7 milliards de dollars, ce qui fera  du nouvel ensemble le quatrième plus gros câblo-opérateur sur le marché américain incluant Lightpath, le réseau de télévision locale new-yorkais News 12 Networks ainsi que les quotidiens Newsday et AmNetYork.

Altice a proposé aux actionnaires pour le premier semestre 2016  de payer 34,90 dollars par action Cablevision, soit plus de 6 dollars de plus que le cours actuellement coté. La transaction devrait être, si tout se passe bien, financée par 14,5 milliards de dollars de dette existante et nouvelle assumée par Cablevision,  et 3,3 milliards de dollars en numéraire de la part d’Altice.  Créé en 1973, Cablevision a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 6,46 milliards de dollars pour un bénéfice net de 311,4 millions, et l’opération valorise 2,7 fois le dernier chiffre d’affaires et pas moins de 57 fois les bénéfices passés…C’est donc une nouvelle opération de LBO.

Une stratégie de corsaire du LBO…

Altice souhaite générer à terme la moitié de ses revenus aux Etats-Unis : le groupe exclut a priori d’engager une guerre des prix, et dit mettre l’accent sur la qualité des services. La qualité des services , définition Altice… car  il semble à certains que l’entreprise néglige ses nombreux clients en les privant de la bande passante annoncée et ses fournisseurs en retardant ses paiements pour réduire ses frais financiers.  Ainsi les  méthodes d’Altice en termes de synergies laissent d’ailleurs les analystes de Deutsche Bank sibyllins : « l’entreprise a fait preuve par le passé de sa capacité à couper dans d’autres dépenses »… Après avoir provoqué la grande purge des cadres de SFR,  Patrick Drahi a  noté publiquement que plus de 300 salariés de Cablevision gagnaient plus de 300.000 dollars (262.750 euros) par an. »Cela, nous allons le changer », que Cablevision dépenserait actuellement 49 dollars par client et par mois en charges d’exploitation, contre 14 dollars pour Numericable, le câblo-opérateur français filiale du groupe.  Chez Suddenlink, un autre acteur américain du marché racheté par Altice il y a quelques mois, ces charges sont de 32 dollars par client et par mois mais Patrick Drahi entend bien les ramener à 25 dollars.

Les fournisseurs de ce grand groupe très endetté font les frais de comportements forts inhabituels : « 30% ou on ne paie pas! »  ceci pour les petits, bien sûr, mais aussi les gros :  Cisco, Huawei, Cap Gemini, Sopra, Teleperformance, même la Ville de Paris qui a dû menacer d’expulsion l’opérateur lui devant près de 9 millions. Patrick Drahi transfère sur les autres, au mépris des contrats, ses frais financiers.

Outre les salariés et les fournisseurs sont bien évidemment les petits clients qui sont sacrifiés, la bande passante est ainsi vendu deux fois au mépris des contrats,  les opérateurs du groupe, sociétés réglementées, prennet le risque de  déroger  à leur obligations de moyens. Le site web commun de SFR-Numericable semble d’ailleurs prendre les devants en présentant de façon mensongère le médiateur des communications électroniques comme le « dernier recours » des réclamations du client[1]. : comme si les voies de recours judicaires n’existaient pas.

…autorisée par un endettement sans limite…

La dette du groupe Altice devrait monter à 51 milliards de dollars après la dernière transaction. Les banques, d’agissant de métiers récurrents utilisant des réseaux d’installation couteux financent plus généreusement les réseaux existants et ceci sur des durées de plus en plus longues. Ainsi Free avait aisément trouvé le financement pour tenter le rachat avorté de T Mobile en 2014.  Un revenu d’autant plus facile pour ces banques en l’absence d’une réglementation  limitant la durée de prêts fiscalement déductibles, qu’en cas de problème que l’on espère lointain un rééchelonnement de la dette reste possible. Ce sont JP Morgan et BNP Paribas qui conseillent Altice et touchent au passage les généreuses commissions d’intermédiation et de montage qui feront leurs résultat de 2015.   Le gouvernement français quant à lui, note qu’un effondrement du groupe aurait des conséquences graves pour l’économie française fait des réserves…

…une structure du capital très inéquitable …  

Altice est une société de droit néerlandais qui repose sur le rôle statutaire d’un Controleur (en flamand) ou Controller (en anglais) qui ressemble en de nombreux points à celui de la commandite / il s’agit selon les statuts de Patrick Drahi individuellement ou avec un de ses enfants ou ses héritiers ensemble.

Toutes les actions sont nominatives et le capital autorisé en comprend quatre sortes pour un total autorisé pour cinq ans sans DPS de 346M€, autorisation irrévocable qui porte sur  un nominal total de 346M€…A la différence des autres actions dont le nominal doit être pleinement acquitté, les actions de préférence A sont libérables d’un quart seulement de leur nominal. Chaque action ordinaire A ou action de preference B confère un droit de vote alors que la Preference Share A donne quatre droit de vote, et chaque action ordinaire B donne vingt-cinq droits de vote (25)  [1] Les fonds propres du groupe ALTICE sont passés de 95,3 millions d’euros a fin 2013 à 5,196  milliards d’euros par placement privé courant 2014 pour le refinancement de Numéricable-SFR, soit 3,2 milliards d’intérêts minoritaires. Le capital était fin 2014 émis entierement sous formes d’actions ordinaires A et la  holding luxembourgeoise de Patrick Drahi détenait 56,8% de ce capital de 248 millions d’actions de 1 centime de nominal alors identique.  Une opération d’ échange d’actions A contre des actions B  offerte cet été a permis au fondateur de consolider le contrôle de son groupe.

La société peut aussi racheter librement sans consulter l’assemblée des actionnaires ses titres cotés pour les remettre à ses employés. La réduction du capital est aussi possible mais pour les actions de préférence A seulement en totalité avec remboursement. A tout moment le porteur d’actions ordinaires B peut demander (Conversion Notice)  de convertir ses actions ordinaires B en actions ordinaires A à la parité de  25 actions ordinaires A pour une action ordinaire B.

Mais selon l’article 14.3[2] le Conseil peut convertir les actions de préférence B aux conditions qu’il décidera lui-même.

… une gouvernance toujours plus autocratique.

Le Conseil qui « conduit la direction de la société est composé de 3 à 10 membres, dirigeants ou non dirigeants nommés par l’assemblée. Les administrateurs dirigeants sont nommés sur proposition exclusive du Nominating Sharehodler ( en flamand «voordragende aandeelhouder »)  ce qui pourrait se traduire en Français par « commandité statutaire ». Statutairement, ce commandité est la société  luxembourgeoise Next Alt S.à r.l., ou alternativement toute autre société à condition  qu’elle détienne au moins 30% du nominal des actions ordinaires et qu’elle soit contrôlée par le Controleur, Patrick Drahi.…

Le conseil peut nommer un Chairman non exécutif mais c’est le Président qui convoque le Conseil et en l’absence d’un chairman peur être chargé de présider. Si chaque administrateur a un droit de vote en conseil, le Président, ou , en son absence le Vice-Président a lui autant de droit de vote en conseil qu’il y a d’autres administrateurs[3] ! Le Président représente d’ailleurs la société concurremment avec le Conseil.

L’assemblée ne peut refuser leur nomination qu’à la majorité des deux tiers des voix représentant au moins la moitié du capital émis, et en tel cas de refus le commandité dispose d’un second droit de présentation. En cas de révocation la majorité simple suffit si le commandité la propose, sinon la majorité des deux tiers des voix représentant au moins la moitié du capital émis est nécessaire…

 

et des rémunérations formidables à la décision du seul président.

Sa rémunération officielle – gageons qu’il y a en a d’autres, s’élève cette année a plus de 15 millions en valeur d’options –  avant la chute de cet été 2015 alors que son groupe n’a connu qu’un trimestre  de bénéfice depuis le rachat de SFR. Avec l’appui de ses banques, de quelques actionnaires très exposés cyniques ou naïfs puisque le vote de l’assemblée générale sur les plans de rémunérations en actions avec leur nombre et critères d’attribution ou d’amendement reste contrôlé par le jeu des actions B.

331 millions d’euros d’options (en valeur de fin 2014)  pour 6,9 % du capital ont été autorisées dont 100 millions€  sur attribution du seul CEO Patrick Drahi qui s’en est attribué déjà 75 Millions d’euros soit 2,65 millions d’actions au prix d’exercice d’introduction  en bourse début 2014 de 28,25 € ou 1,56% du capital   : le CEO peut offrir encore 2% du capital potentiel à Michel Combes et d’autres a un prix d’exercice plus élevé…

Apparemment les dirigeants auraient gagés 170 millions de plus values attendues ( les premiers 50% des options consenties ne sont levables que début 2016) avec les banques du refinancement du 1er octobre: est-ce bien régulier alors que les souscripteurs au capital ont eux leurs titres bloqués ?

… et un dossier instructif pour le système bancaire

Altice est on l’a vu donc devenu une SCA sans le dire, les actionnaires d’ALTICE   ne peuvent en aucune façon démettre le dirigeant. Comme avec Jean-Luc Lagardère qui transforma son groupe en SCA avecl’appui des banques (on connaît la suite) nos banquiers ont eu pour le Président Patrick Drahi les yeux de Chimène.  Résident fiscal suisse, de nationalité française et israélienne, il détient sa holding luxembourgeoise via une entité de Guernesey:  on peut donc présumer qu’il s’agit d’un contribuable important pour les Etats tuteurs de nos banques.

Les fonds propres consolidés du groupe ALTICE sont passés de 95,3 millions d’euros a fin 2013 à 5,196  milliards d’euros par apport des actionnaires en placement privé courant 2014 pour le refinancement de Numéricable-SFR, dont  3,2 milliards d’intérêts minoritaires. Le capital était fin 2014 émis entièrement sous formes d’actions ordinaires A et la holding de Patrick Drahi détenait 56,8% de ce capital de 248 millions d’actions de 1 centime de nominal alors identique.

Le cas Altice fait réaliser que la réorganisation du système financier, fondé sur la garantie de l’Etat aux banques en raison des dépôts du public et pour leurs prêts à l’économie, devra établir une limite à l’échéance des prêts autorisés : c’est une exigence d’ordre public pour limiter le risques des banques et c’est aussi une exigence fiscale, car l’économie du LBO par le jeu des holdings à responsabilité limitée est  une évasion fiscale puisqu’elle permet de transférer dans l’ordre de la plus-value le profit d’opérations sans risque d’actionnaire direct.

2 octobre 2015

 

[1] « En cas de réclamation, le client peut suivre un parcours en 3 niveaux pour obtenir toutes ses réponses : Service Client, puis Service Consommateurs, puis en dernier recours le Médiateur des communications électroniques ./.. À ces deux niveaux de traitement internes s’ajoute, en ultime recours amiable, la possibilité de saisir gratuitement le Médiateur indépendant des communications électroniques, qui s’engage à rendre un avis dans un délai maximal de trois mois. »

[1] article 38.3 : 8 milliards d’actions ordinaires A au nominal de 1 centime d’euro, soit 80 M€, 300,000,000  d ’actions ordinaires B, au nominal de.25 centimes chacune (soit 75M €), 4,7 milliards d’actions de préférence A au nominal de 4 centimes (188 M€), et 150,000,000 d’actions de préférence B,au nominal de 1 centime  ( soit 1,5 M€) Un dividende préférentiel annuel négligeable est réservé aux seuls porteurs d’actions de préférence à hauteur de 0.01% du capital apporté parc ces actions de préférence.

[2] 14.3 The Board may at all times convert one or more Preference Shares B  into one or more Common Shares A in accordance with the conversion ratio and other conditions as determined by the Board

[3] 21.5 Each Board member, other than the President, and if no President is in function, other than the Vice-President, shall be entitled to one vote. The President is entitled to cast a number of votes that equals the number of Board members entitled to vote, excluding the President, that is present or represented at that meeting. If no President is in function, the Vice-President shall be entitled to cast a number of votes that equals the number of Board members entitled to vote, excluding the Vice-President, that is present or represented at that meeting

 

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