Le mardi 30 juin se tiendra l’assemblée mixte d’Alstom. Proxinvest pose ici à la société et au Régulateur quatre questions portant sur le respect des prescriptions légales en matière d’information des actionnaires et de traitement des rémunérations du PDG.

 

I  Notre première question concerne la régularité de l’Assemblée Générale du 19 décembre 2014 invitée à se prononcer à titre consultatif sur la cession des activités Energie (Power (génération d’électricité) et Grid (Réseaux)), et des services centraux et partagés d’Alstom à General Electric.

Selon l’avis de convocation de cette Assemblée Générale Extraordinaire et aux termes du Contrat de Cession, «  la réalisation de l’Opération est conditionnée à son approbation par l’assemblée générale des actionnaires de la Société à la majorité des deux tiers des voix exprimées (la « Majorité Qualifiée ».

 

Or, la société a informé la veille de cette Assemblée Générale d’une modification substantielle du prix de cession : l’amende américaine annoncée pour des faits de corruption, qui devait, contrairement à ce qu’affirme en page 50 du dernier Document de Référence[1], être prise en charge par l’acquéreur, ne l’était plus : le DOJ américain ayant stipulé qu’aucune partie de l’amende ne pourrait être transférée à General Electric dans le cadre de la cession prévue: aux dires du PDG à l’Assemblée, ce montant de 772 millions de dollar (720 M.€), représentant la majeure partie de la perte constatée pour le groupe sur l’exercice 2014/2015 devait être compensé par des voies commerciales…

Par ailleurs, la lecture des conditions des joint-ventures organisées avec General Electric tout comme le portage étrange des actions de Bouygues par l’Etat a permis entretemps d’observer en 2015 que ce qui était présenté  comme une alliance, un adossement ou une association 50-50 entre partenaires égaux ne sera inévitablement qu’une cession décalée des actifs d’Alstom à prix prédéfini.

De ce fait, Proxinvest, qui malgré des réserves avait recommandé un vote positif, a regretté publiquement pour la première fois de son histoire avoir émis cette recommandation positive, le dossier semblant inacceptable tant par la modification inattendue du prix de cession que par les imprécisions des conditions de cet accord.

La modification substantielle la veille de l’assemblée générale des conditions de l’opération portées au rapport du conseil et mise à l’ordre du jour d’une assemblée des actionnaires en manquement aux règles légales de convocation française, notamment l’Article R225-83 (*), ne rend-elle pas nul et non avenu le vote enregistré et ne requiert-elle pas, le projet se trouvant modifié et maintenu,  une nouvelle consultation, ceci  en ligne avec la dernière recommandation de l’AMF  (**) ?

 

 

II Notre seconde question  concerne, sur la qualité de l’information donnée sur la nature des comportements ayant entraîné des amendes.

En 2010, le Département de la Justice américain (DoJ) a commencé à enquêter sur des filiales du Groupe concernant des faits de corruption et ses poursuites se sont traduites par des amendes infligées au Groupe pour environ 772 millions de dollars, l’exclusion de filiales du Groupe des procédures d’appels d’offres et pourront engendrer d’autres actions civiles coûteuses pour le groupe et ses actionnaires.[2]

Une filiale d’Alstom, Alstom Network Schweiz AG (anciennement Alstom Prom AG), a accepté de plaider coupable de violation des règles anti-corruption américaines et Alstom SA a plaidé coupable de non-respect des dispositions du FCPA en matière de tenue des livres comptables et de contrôle interne (« The Defendant did knowingly falsify its books, records, or accounts such that its books, records, or accounts did not fairly reflect the transactions and dispositions of the assets of the Defendant »).

La sentence américaine acceptée par Alstom ou « Plea agreement » (Case 3:14-cr-00246-JBA Document 5 Filed 12/22/14 Pages 2 et 3)[i][3] indique que la société a manqué à la mise en place d’un système de contrôles internes suffisant pour apporter des assurances raisonnables quant à l’exécution des opérations en cohérence avec les autorisations spécifiques du management, que les opérations soient enregistrées comme il convient pour permettre l’établissement des comptes en conformité avec les principes comptables généralement acceptés et tout autre critère applicable aux comptes,   que soit maintenu une comptabilité des actifs ainsi qu’une disposition desdits actifs en ligne avec l’autorisation générale ou spécifique du management, que les actifs  comptabilisés soit comparés aux actifs existants à intervalle régulier et que toute mesure soit prise pour pallier aux écarts éventuels.  »

Or la seule explication en français que nous trouvons sur ces amendes pour les actionnaires dans le Document de référence figure au chapitre des facteurs de risques:  » Ainsi, les manquements visés dans l’accord avec le DOJ proviennent essentiellement de l’utilisation de consultants externes rémunérés par Alstom en fonction du succès des projets sur lesquels ils étaient retenus, en support des équipes commerciales internes.  »

On observe aussi que, si le Rapport du Président sur les procédures de contrôle interne et de gestion des risques s’est considérablement développé ces dernières années pour atteindre près de dix pages, il ne fait pas allusion à des manquements admis par ailleurs,  pas plus d’ailleurs que le Rapport des Commissaires aux Comptes établi en application de l’article 225-235 du Code qui nous apparaît identique et inchangé depuis dix ans.

Or, on l’a vu plus haut, la société mère, qui ne semble pas avoir, elle, directement employé de consultants externes, a admis pleinement sa culpabilité sur divers manquements de contrôle et de diligence. Pouvons-nous considérer dès lors comme une information exacte, sincère et exhaustive que les manquements admis par la société ne provenaient que «  essentiellement de l’utilisation de consultants externes » et peut-on affirmer comme le font les rapports du Président et des commissaires aux comptes qu’il n’y a eu aucun manquement aux procédures de contrôle du groupe ?

 

 

III  Notre troisième question concerne la régularité de l’information sur la rémunération exceptionnelle proposée pour le PDG Patrick Kron :

La valorisation de la rémunération conditionnelle exceptionnelle de Patrick Kron « au sens de l’article 23.2.3, 9e alinéa du Code AFEP-MEDEF, décidée par le Conseil d’Administration (contre-valeur de 150 000 actions appréciées sur la base du cours de bourse à la date de réalisation de l’opération avec General Electric) , qualifiée de rémunération variable par le Code, ne figure pas dans le tableau Afep/Medef de synthèse des rémunérations, ni en bas de la page 224 concernant la rémunération de l’exercice 2014-2015 ce qui déroge aux règles de place.  Cette rémunération décidée en 2014, pour un motif considéré comme réalisé en décembre 2014, étant payable en 2015 a été retirée du tableau de la rémunération totale du PDG. Celle-ci se trouve ainsi fortement minorée passant de 6,5M€ à un montant officiel de 2,5 M€, en franche liberté au regard de l’article L 225-102-1…

La provision comptable, que l’on doit chercher en note de bas de page des comptes consolidés page 143 ne s’élève qu’à  2 771 000 €  alors s’établit au cours actuel à 4 026 000 € .

Le manquement principal à la conformité comme à la règle légale de l’article l’article L 225-102-1 concerne bien évidemment l’Exhaustivité demandée par le Code dans sa recommandation 23.1 renouvelée par la recommandation 24 : « Une information très complète doit être donnée aux actionnaires afin que ces derniers aient une vision claire, non seulement de la rémunération individuelle versée aux dirigeants mandataires sociaux, mais aussi de la politique de détermination des rémunérations qui est appliquée. »

 

Alors que la recommandation 25 demande que la société fournisse une explication lorsqu’une recommandation n’est pas appliquée, l’omission de la rémunération versée par Alstom n’est nulle part justifiée dans le document.

 

La recommandation 24.3 sur la Consultation des actionnaires sur la rémunération individuelle des dirigeants mandataires sociaux exige enfin que celle–ci porte sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos à chaque dirigeant mandataire social y compris les « avantages de toute nature ».

 

Ce montant de rémunération exceptionnelle de Patrick Kron ne figure pas de façon surprenante dans le rapport du Conseil à l’Assemblée cette résolution 11 de vote Say on Pay : la décision de rémunération exceptionnelle est indiquée en affirmant de façon pour le moins contestable bizarrement « Aucun montant n’est dû au titre de l’exercice ».

 

La dissimulation volontaire en violation de la loi des éléments de rémunération proposée pour le Président Directeur Général pour l’exercice 2014, constitue-elle une information inexacte et trompeuse sur la rémunération proposée pour le mandataire social de la société au titre de l’exercice ?

 

 

IV  Notre dernière question porte sur l’opportunité d’un retrait de cette rémunération exceptionnelle tant au regard de ses risques juridiques que du contexte actuel de la société.

Aux éléments d’irrégularité et de non-conformité relevés plus haut vient s’ajouter un détournement probable de la règle légale applicable aux indemnités de départ.

Rappelons que la société avait initialement prévu une indemnité de rupture de mandat dont le versement était soumis à la « constatation de conditions de performance du bénéficiaire appréciées au regard de celles de la Société ». Le Conseil d’administration du 4 mai 2009 a pris acte de la renonciation du PDG à cette indemnité de rupture.

Le PDG Patrick Kron a à la fin de 2014 annoncé son départ d’Alstom à l’issue de l’opération stratégique annoncée et confirmé cette décision dans le Document de Référence. Il est clair que ce départ volontaire pouvait être salué en respectant la règle légale, soit en versant au titre de de 2014 une rémunération complémentaire exceptionnelle régulièrement déclarée, soit en consentant une indemnisation du départ dans le cadre légal de l’article L225-42-1 : mais, dans cette dernière hypothèse, l’indemnité devait être à la fois subordonnée au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire appréciées au regard de celles de la société, et soumise à l’approbation de l’assemblée générale en application de l’article L. 225-40 avec une résolution spécifique.

 

Comme le rappelle le Code AFEP MEDEF  « La loi donne un rôle majeur aux actionnaires en soumettant ces indemnités prédéfinies, versées à la cessation des fonctions de dirigeant mandataire social, à la procédure des conventions réglementées. Elle impose une transparence totale et soumet les indemnités de départ à des conditions de performance. Ces conditions de performance doivent être appréciées sur deux exercices au moins. »

 

Rien n’empêchait ainsi le Conseil de choisir cette route en 2014, mais Patrick Kron étant administrateur de Bouygues, cet actionnaire important d’Alstom n’aurait pu valablement participer au vote d’une indemnité de départ…

C’est donc la formule jugée plus aisée d’une rémunération conditionnelle exceptionnelle au sens de l’article 23.2.3 du Code AFEP-MEDEF, qui fut retenue sans respecter, on l’a vu plus haut, le formalisme réglementaire applicable à la rémunération du mandataire social pour 2014.

Cette rémunération exceptionnelle fût  plafonnée à deux fois la rémunération totale 2014/15 de Patrick Kron, soit 4 936 000 €. Ceci rappelle le plafond AFEP-Medef d’une indemnité de départ soumise à conditions de performance et à vote. On présumera au demeurant que c’est bien ce montant, toujours acceptable pour l’AFEP-Medef, et non la procédure finalement adoptée, qui obtint un avis  positif du HCGE.

La procédure finalement choisie ressemble ainsi à un détournement de la procédure légale de l’article L225-42-1, mais il semble aussi que le montant retenu pose problème.

 

Ce montant ne semble pas parfaitement satisfaire la recommandation 23.2.3.du code de référence[1], puisque son ordre de grandeur ne semble pas « équilibré ». Plafonné à 4,9 M€, il consiste au cours actuel en un pourcentage de plus de 400% de la partie fixe, et, en actions Alstom, représente presque dix fois l’investissement personnel de Patrick Kron (16 011 actions) ; il n’est surtout pas en rapport avec l’évolution de la valeur de l’investissement des actionnaires qui après avoir heureusement progressé suite au soutien de l’Etat et à l’arrivée de Patrick Kron en 2003 a baissé régulièrement depuis huit ans et se trouve aujourd’hui à moins de la moitié de son cours de 2008.

Au regard de l’irrégularité de la procédure de rémunération adoptée, qui met en risque l’entreprise et du caractère non équilibré de son montant dans le contexte actuel, ne convient-il pas que le PDG d’Alstom, à l’exemple de son prédécesseur[2], renouvelle sa renonciation de 2009 à toute indemnité de départ ?

 

 

 

 

Paris, le mardi 23 juin 2015

[1]  (*) Article R225-83  La société adresse aux actionnaires ou met à leur disposition, dans les conditions prévues aux articles R. 225-88 et R. 225-89, les renseignements suivants contenus dans un ou plusieurs documents : ./.. 4° Le rapport du conseil d’administration ou du directoire, selon le cas, qui sera présenté à l’assemblée ainsi que, le cas échéant, les observations du conseil de surveillance ;

(**) L’ AMF vient de de préconiser en effet la consultation des actionnaires en assemblée générale avant toute cession de la majorité des actifs susceptible de modifier substantiellement le profil d’une société cotée. Cette consultation est recommandée si deux des cinq ratios suivants atteignent 50 % (chiffre d’affaires des actifs cédés , prix de cession des actifs rapporté à la capitalisation boursière, valeur nette des actifs rapportée au total de bilan consolidé, résultat courant avant impôt des actifs cédés sur résultat courant global et, enfin, les effectifs des actifs cédés sur les effectifs mondiaux): selon Proxinvest quatre de ces cinq critères sont satisfaits par l’opération concernée entre Alstom et Géneral Electric.

 

[1] Alors que l’Avis de convocation convoquant l’Assemblée Générale Extraordinaire exposait que : « En reprenant les entités portant les activités Énergie d’Alstom, General Electric s’est engagée à supporter tous les passifs et risques associés, exclusivement ou de manière prédominante, à ces activités. Des mécanismes d’indemnisation croisée (Cross-Indemnification) et de réallocation d’actifs (Wrong Pocket) ont été mis en place afin d’assurer que les actifs – et les passifs – associés aux activités cédées reviennent bien à – et soient bien supportés par General Electric » le Document de Référence pour 2014 expose limitativement« Dans ce contexte, Alstom serait indemnisé par GE de tout passif qu’Alstom pourrait être amené à supporter pour le compte des activités Énergie postérieurement à la cession. »

[2] Le groupe Alstom est par ailleurs soumis à une procédure britannique du Serious Fraud Office et confronté au Brésil à des allégations de non-conformité aux lois et règlements sur la concurrence

[3] « The Defendant did knowingly fail to implement a system of internal accounting controls sufficient to provide reasonable assurances that (i) transactions were executed in accordance with management’s general or specific authorization; (ii) transactions were recorded as necessary (l) to permit preparation of financial statements in conformity with generally accepted accounting principles or any other criteria applicable to such statements, and (ll) to maintain accountability for assets; (iii) access to assets was permitted only in accordance with management’s general or specific authorization; and (iv) the recorded accountability for assets was compared with the existing assets at reasonable intervals and appropriate action was taken with respect to any differences.”   » The Defendant is pleading guilty because it is guilty of the charges contained in the Information. »,  » The Defendant admits, agrees, and stipulates that the factual allegations set forth in the Information are true and correct, that it is responsible for the acts of its officers, directors, employees, and agents described in the Information… »The Defendant failed to voluntarily disclose the conduct even though it was aware of related misconduct at Alstom Power, Inc… »

 

[1] « Seules des circonstances très particulières peuvent donner lieu à une partie variable exceptionnelle. Les critères qualitatifs doivent être définis de manière précise. Au sein de la rémunération variable, lorsque des critères qualitatifs sont utilisés, une limite doit être fixée à la part qualitative tout en permettant le cas échéant de tenir compte de circonstances exceptionnelles. Les rémunérations variables doivent être d’un ordre de grandeur équilibré par rapport à la partie fixe. Elles consistent en un pourcentage maximum de la partie fixe, adapté au métier de l’entreprise et prédéfini par le conseil. »

[2] L’ancien PDG, Pierre Bilger, renonça en 2003 à l’indemnité de départ de 4,1 millions d’euros promis par son contrat de travail.

 

 

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