La rémunération des dirigeants est un sujet aussi populaire que polémique, puisque touchant un sujet plutôt tabou en France, la rémunération, mais suffisamment général pour que chacun y aille de son commentaire.

La rémunération des non exécutifs (Président et membres du conseil) est un sujet moins abordé, mais tout aussi important. En effet, la fonction de contrôle est trop souvent perçue comme une fonction subalterne à la direction. Toute société est exposée constamment à de nombreux risques stratégiques et opérationnels : la mission de contrôle du Conseil est de prévenir et éclairer ces risques. Si la direction est confondue avec cette mission de contrôle, il n’y pas de contrôle réel, le groupe et ses parties prenantes peuvent être en risque accru du fait de décisions insuffisamment débattues. La dissociation des pouvoirs est saine puisqu’elle évite la situation de conflits d’intérêts que fait naître la réunion des fonctions. En droit des sociétés, les pouvoirs d’un Directeur Général cumulant la Présidence du Conseil sont disproportionnés face aux pouvoirs limités d’un Vice-Président administrateur référent. Rappelons ici les pouvoirs considérables d’un Président, qui notamment convoque le conseil, fixe son ordre du jour, anime et dirige les débats, établit le compte rendu de ces débats, rédige le rapport sur la gouvernance et le contrôle interne, informe les commissaires aux comptes des conventions réglementées, représente le conseil d’administration.

Trop souvent donc, l’importance des membres non exécutifs est sous-estimée, leur mission dépréciée.

La France fait face à un paradoxe en la matière:

Malgré un niveau de rémunération relativement important des Présidents non exécutifs en France (272 893 € en moyenne au sein du SBF 120 en 2013 selon le dernier rapport Proxinvest sur les rémunérations), les autres membres des conseils d’administration ou de surveillance français sont eux parmi les moins rémunérés d’Europe. L’enveloppe globale moyenne de jetons de présence autorisée par l’assemblée générale au sein du SBF 120 s’établit ainsi en 2014 à 673 231 € selon les observations statistiques du dernier rapport de Proxinvest sur les assemblées générales 2014.

Le phénomène de « Présidentialisation à la Française » explique donc un manque de cohérence dans l’approche française du non exécutif, avec une fonction globalement dévalorisée, mais une rémunération des Présidents non-exécutifs élevée, qui s’explique largement par la pratique de nomination d’un ancien dirigeant à ce poste, ou à son maintien comme Président après une séparation des fonctions de Président et de Directeur Général. Ainsi, Franck Riboud en cédant sa place de Directeur Général de Danone à Emmanuel Faber, a vu en même temps sa rémunération fixe doubler, pour atteindre 2 M€. Il arrivera ainsi très certainement en première place du classement Proxinvest sur la rémunération des Présidents non-exécutifs. Rappelons que le classement du dernier rapport Proxinvest sur les rémunérations sur les rémunérations 2013 était le suivant :

1 Baudouin Prot BNP Paribas 1 214 274 €
2 Charles Edelstenne Dassault Systèmes 987 500 €
3 Jacques Merceron-Vicat Vicat 825 009 €
4 Serge Weinberg Sanofi 708 040 €
5 Jean-René Fourtou Vivendi 700 000 €

Proxinvest estime indispensable que la rémunération significative d’un Président du Conseil soit justifiée par des missions spécifiques et que ces dernières soient donc approuvées en assemblée générale soit par le vote des jetons de présence, soit par celui d’une convention réglementée. Dans le cas contraire, les actionnaires pourront également manifester leur désaccord lors du vote consultatif sur la rémunération du Président (le code AFEP-MEDEF recommande un vote consultatif sur la rémunération d’un Président de conseil d’administration mais pas celle d’un Président de conseil de surveillance).

Heureusement, les niveaux de 3 ou 5 fois la moyenne nationale observés dans le top 5 des Présidents non-exécutifs les mieux rémunérés ne concernent qu’un nombre limité d’individu. Tout en bas de son classement, le rapport de Proxinvest sur les rémunérations observe aussi des Présidents peu ou pas rémunérés pour leur fonction :

Classement Président Société Durée Fixe Variable Autres Jetons LTI Total
53 Vincent Bolloré Havas 8 mois  – €  – €  – € 8 000 €  – € 8 000 €
54  Xavier Guille des Buttes Genfit 12 mois  – €  – €  – € 4 950 €  – € 4 950 €
55 Michel Rollier Michelin 7 mois  – €  – €  – €  – €  – €  – €
56 François Pérol Natixis 12 mois  – €  – €  – €  – €  – €  – €
57 Gérard Mestrallet Suez Environnement 12 mois  – €  – €  – €  – €  – €  – €
58 Jean-Claude Decaux JC Decau 5 mois  – €  – €  – €  – €  – €  – €

La complexité  des enjeux auxquels doivent répondre les conseils est croissante: rémunération des dirigeants, risques opérationnels, technologiques ou réputationnels, considérations stratégiques mondiales, les compétences nécessaires au sein des conseils ne cessent de se diversifier. Afin d’assurer un contrôle rigoureux de la gestion, il est indispensable que le conseil, premier garant d’une bonne gestion, soit suffisamment indépendant, écouté, et … rémunéré. En France, de vastes marges de progression existent encore afin que le conseil remplisse pleinement son rôle de représentant des actionnaires. Une plus grande activité des administrateurs doit en tout cas s’accompagner d’enveloppes décentes de jetons de présence. Avec un jeton unitaire moyen de 54 444 € au sein du SBF 120 en 2013 selon l’étude de Proxinvest, les membres non exécutifs français perçoivent environ la moitié du jeton attribué à leurs pairs britannique, italien et le tiers de leurs confrères helvètes. Certaines sociétés cotées à Paris mais souvent de droit étranger, versent les jetons moyens les plus élevés d’après le dernier rapport de Proxinvest sur la rémunération :

ArcelorMittal (jeton versé en USD) 140 795 €
STMicroelectronics 109 766 €
Vivendi 106 845 €
SES 100 000 €
Gemalto 99 287 €

Selon la dernière étude de Proxinvest sur les rémunérations, ce sont en général les administrateurs qui cumulent le plus de mandats ou qui occupent les fonctions à la mode d’administrateur référent ou Vice-Président qui perçoivent mécaniquement le plus de jetons :

Administrateur Société Fonction au cours de l’exercice 2013 Jeton de présence, y compris les jetons payés par filiales
Patricia Barbizet Air France-KLM Membre du conseil 46 923 €
Bouygues Membre du conseil 28 322 €
Peugeot Membre du conseil 27 500 €
TF1 Membre du conseil 9 422 €
Total Membre du conseil 134 500 €
Kering Vice-Président 224 628 €
Total Patricia Barbizet     471 295 €
Jean-Martin Folz Alstom Membre du conseil 77 000 €
AXA Membre du conseil 117 086 €
Eutelsat Communications Président 74 000 €
Saint-Gobain Membre du conseil 64 907 €
Société Générale Membre du conseil 82 381 €
SOLVAY Membre du conseil 44 500 €
Total Jean-Martin Folz     459 874 €
Yves-Thibault de Silguy LVMH Membre du conseil 101 250 €
Vinci Vice-Président 190 000 €
SOLVAY Membre du conseil 30 000 €
Total Yves-Thibault de Silguy     321 250 €
Thierry Desmarest Air Liquide Membre du conseil 63 000 €
Renault Membre du conseil 72 000 €
Sanofi Membre du conseil 80 000 €
Total Membre du conseil 89 500 €
Total Thierry Desmarest     304 500 €
Anthony Wyand Société Générale Vice-Président 302 426 €
Total Anthony Wyand     302 426 €
Robert Castaigne Sanofi Membre du conseil 120 000 €
Société Générale Membre du conseil 113 360 €
Vinci Membre du conseil 65 000 €
Total Robert Castaigne     298 360 €
Jean-François Roverato Eiffage Vice-Président 290 000 €
Total Jean-François Roverato     290 000 €
Jean Laurent Danone Administrateur référent 138 000 €
Eurazeo Vice-Président 62 786 €
Foncière des Régions Président 76 742 €
Total Jean Laurent     277 528 €

Les actionnaires semblent devenir plus contestataires sur le sujet puisque comme le montre le rapport Proxinvest sur les assemblées générales 2014 paru il y a quelques semaines, le taux moyen d’approbation du montant annuel des jetons de présence en assemblée générale perd près de 1,5% sur l’année 2014, s’établissant à 96,88% contre plus de 98,3% en 2013. Du seul côté du CAC 40, ce taux est de 95,6% en 2014. Proxinvest aura lors de la saison des assemblées générales du printemps dernier recommandé l’opposition à huit des dix-sept résolutions proposées par les sociétés du CAC 40 relatives à la fixation de l’enveloppe globale de jetons de présence. On citera Air Liquide, Alstom, ArcelorMittal, AXA, Kering, Legrand, Publicis Groupe et Veolia Environnement. Parmi les principales raisons de contestation des actionnaires, l’absence d’indexation du jeton de présence sur la participation effective des membres aux réunions du conseil ou des montants de jetons unitaires moyens nettement plus élevés que ceux des sociétés à capitalisation proches.

Tout comme en 2012 et en 2013, aucun rejet relatif à la fixation du montant annuel des jetons de présence n’aura été enregistré en 2014, hors la proposition externe de l’État chez Safran. D’ailleurs, l’État français se sera montré cette année l’actionnaire le plus actif sur le sujet puisque pour la première fois, il aura usé de son droit d’actionnaire minoritaire pour inscrire une nouvelle résolution à l’ordre du jour de l’assemblée générale de Safran.

Ainsi, il devient urgent pour les conseils d’administration ou de surveillance, d’écouter la voix de leurs actionnaires, afin d’améliorer la pratique française que ce soit au niveau de la rémunération de leurs membres, mais aussi de leur rôle dans le contrôle de gestion bien souvent controversé.

Retrouvez l’ensemble des données récoltées par Proxinvest, ainsi que des analyses approfondies dans les rapports Proxinvest « La rémunération des dirigeants des sociétés cotées » et « Assemblées générales 2014 et Politique de vote 2015 » (849€ TTC chacun).

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