Le 11 juillet dernier, les cabinets Deloitte (commissaire titulaire) et BEAS (commissaire suppléant) ont présenté leur démission, malgré leur récente nomination en septembre 2013. Les deux autres commissaires aux comptes (Ledouble et CFCA), mandataires depuis 2002, n’ont pas sollicité leur renouvellement. Notons que la démission concomitante des commissaires titulaires et suppléants souligne le bien-fondé de la politique de vote de Proxinvest, qui prône l’élection de commissaires aux comptes suppléants indépendants des titulaires. En effet, c’est précisément en cas de défection du commissaire titulaire que le suppléant doit-être amené à prendre ses fonctions. L’association des cabinets et leur défection commune ne satisfait donc pas l’esprit des textes qui ont prévu de protéger les actionnaires et la société contre l’hypothèse d’une vacance ou d’une révocation d’un commissaire titulaire.

A l’origine de la rupture entre EuropaCorp et ses commissaires aux comptes, un grave désaccord sur les comptes sociaux et consolidés du groupe.

Dans leur rapport sur les comptes consolidés, les commissaires indiquaient :

« Le chiffre d’affaires de l’exercice intègre un montant de 29,7 millions d’euros correspondant à la cession des droits à recettes futures en provenance de Fox sur les films Taken et Taken 2, cession assortie de garanties collatérales sur les royautés futures éventuelles à générer avec d’autres contrats passés avec Fox listés dans l’accord, dont le contrat sur le film Taken 3 en cours de tournage et le contrat de VOD. Les conditions de reconnaissance en chiffre d’affaires de ce montant, prévues par la norme IAS 18 Produits des activités ordinaires ne sont pas remplies au 31 mars 2014. En effet, ce montant ne peut être considéré comme exclusivement relatif aux deux films Taken et Taken 2 mais à un ensemble de contrats mentionnés dans l’accord, dont les livrables ne sont pas tous disponibles à cette date et dont les produits futurs viendraient compléter les recettes des deux films Taken et Taken 2 si ces dernières étaient insuffisantes pour atteindre le montant fixé au contrat de 45 millions de dollars, à horizon du 31 mars 2024. Sur la base du contrat et de la norme IAS 18, le chiffre d’affaires devrait être comptabilisé à la réception des décomptes de recettes correspondants et, le cas échéant, de la soulte en 2024. Une comptabilisation conforme à la norme IAS 18 se serait traduite par :

– une diminution du chiffre d’affaires de 29,7 millions d’euros, de la marge opérationnelle de 13 millions d’euros en raison des charges générées par la comptabilisation de ce chiffre d’affaires (amortissement des films et provision pour ayants-droit essentiellement), de l’impôt sur les résultats de 4,5 millions d’euros et du résultat net de 8,5 millions d’euros.
– une augmentation des immobilisations incorporelles nettes de 7,7 millions d’euros, une diminution des créances clients et comptes rattachés de 29,7 millions d’euros, une diminution des autres dettes de 4,8 millions d’euros et une diminution des fournisseurs et comptes rattachés de 8,7 millions d’euros.
– des capitaux propres consolidés ramenés de 156,2 millions d’euros à 147,7 millions d’euros. »

Cette réserve majeure des commissaires aux comptes modifie significativement la vision des comptes annuels du groupe. En effet, en retenant les modifications proposées par les commissaires aux comptes, le chiffre d’affaires consolidé est en recul de 14% à 182,12 M€, et le groupe affiche une perte nette de 8,3 M€. D’autre part, la réduction des capitaux propres consolidés aurait pour conséquence de porter le gearing du groupe à 0,74, contre 0,21 un an plus tôt.

Dans l’annonce de ces résultats annuels le 26 juin 2014, le groupe indiquait « The statutory auditors have stated that they will issue a qualified opinion due to a divergence between their technical analysis and that of the Company over the recognition timing for the $45 million of revenue related to a buy-out agreement with Fox ». Cependant, la réserve des commissaires aux comptes est claire sur le fait que la comptabilisation du contrat Fox sur l’exercice ne satisfait pas les principes comptables IAS 18 en vigueur, et que cela ne consiste donc pas à une « divergence d’analyse technique ». Le fait que les deux commissaires aux comptes titulaires mettent fin à leur relation avec EuropaCorp après cette assemblée générale vient conforter le sentiment d’un désaccord majeur avec le groupe, qui s’est défendu en indiquant avoir sollicité un expert indépendant (quel nom ?) qui a approuvé sa position. Cela n’aura pas empêché le titre de s’effondrer de 21,81% le jour de l’annonce des résultats. Lors de l’assemblée du 26 septembre, Proxinvest recommande aux actionnaires de s’opposer à l’approbation des comptes sociaux et consolidés afin de contester la gouvernance douteuse d’un groupe qui par ailleurs dispose de beaux atouts. Le respect des principes comptables est une dimension clé de la confiance des investisseurs et des marchés et leur non-respect est une pratique non acceptable pour la place de Paris et mérite donc d’être fortement sanctionné.

L’intégralité de notre étude est disponible sur nos sites clients et sur le shop : http://shop.proxinvest.fr/?ass=0100112240

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