Proxinvest présente rarement des questions écrites, des points ou des résolutions. C’est généralement le rôle des actionnaires grands ou petits de s’engager publiquement pour contribuer au débat à l’amélioration espérée de la gestion des groupes.

Le dossier Renault, grande société cotée, est exceptionnellement grave du fait d’un abandon préoccupant de toute responsabilité devant les actionnaires du dirigeant tout puissant bientôt sans contrôle et déjà abusivement rémunéré.  Proxinvest, actionnaire de Renault depuis plus de vingt ans a donc présenté les questions suivantes aux administrateurs de la société.

  • I. Questions sur la résolution 5 (accord avec l’Etat):

Dans l’accord avec l’Etat soumis à approbation de la résolution 5, l’Etat français accepte de se faire plafonner ses droits de vote en assemblée générale ordinaire sur certains sujets. Au vu de l’accord, il semblerait que le conseil d’administration a négocié pour que l’Etat se voit plafonner ses droits de vote sur des sujets de rémunération des dirigeants (vote consultatif sur la rémunération du Président Directeur Général, les attributions de stock-options, les attributions d’actions gratuites) ou la limite d’âge statutaire du Président du conseil ou du Directeur Général.

L’accord prévoit par ailleurs que les résolutions soumises par un actionnaire autre que l’État, dites résolutions externes, ne sont pas soumises au mécanisme de plafonnement si l’État  vote selon les recommandations du Conseil d’administration de Renault.

Question N°1 : Pourquoi le conseil d’administration a-t-il mis en priorité dans la négociation avec l’Etat de clauses qui semblent plutôt protectionnistes pour le management ?

Question N°2 : Le fait que l’Etat actionnaire se soit opposé lors des deux dernières assemblées générales à l’approbation du vote « Say On Pay » sur la rémunération de M. Carlos Ghosn a-t-il influencé le conseil d’administration dans ses négociations ?

Question N°3 : La négociation par le conseil d’administration d’un non plafonnement des droits de vote en cas de solidarité de l’Etat contre des résolutions externes déposées par un ou plusieurs actionnaires n’est-il pas constitutif d’un abus de pouvoir et d’une entrave aux droits des actionnaires et à l’impartialité requis en matière de démocratie actionnariale ?

  • II. Questions sur la résolution 6 (accord avec Nissan)

La résolution 6 de l’assemblée générale propose aux actionnaires d’approuver la signature d’un nouvel accord entre Renault SA et son partenaire Nissan Motors. Les services de Renault n’ont pas répondu à la demande de Proxinvest de diffusion de l’accord original intégral.

Cet accord qui prétend « pérenniser l’Alliance » entre les deux constructeurs automobiles obligera  désormais Renault  à voter en faveur des résolutions proposées par le conseil d’administration de Nissan à l’assemblée générale de Nissan pour la nomination, la révocation et la rémunération des membres du conseil d’administration de Nissan et de ne pas soumettre à l’assemblée générale de Nissan ou ne pas voter en faveur d’une résolution qui n’aurait pas été approuvée par les membres du conseil d’administration de Nissan.  Renault s’engage à voter  conformément aux recommandations du conseil d’administration de Nissan, à défaut Nissan aurait la faculté d’acquérir des actions Renault sans accord préalable.

Question N°4: Les dispositions de l’accord permettent à M. Carlos Ghosn,  président  de Renault SA, de Nissan Motor Co., de la joint-venture de l’Alliance Renault-Nissan BV,  de se maintenir dans ses fonctions de Président Directeur Général de Nissan et de la holding commune, même s’il devait un jour quitter ses fonctions au conseil de Renault. Comment  le conseil d’administration de Renault, actionnaire de référence qui détient 43,4% des actions de Nissan , largement  majoritaire en droit de vote  le jour des assemblées générales de Nissan, peut-il s’interdire de participer jamais librement à la gouvernance de Nissan en abandonnant de nombreux droits d’actionnaires, dont les droits de vote sur les questions de nomination/révocation des dirigeants au prorata de son investissement économique?

Question n°5 : Un tel abandon de droit en faveur du conseil de Nissan sans contrepartie pour Renault SA ne rend-il pas le Président Directeur Général actuel  inamovible du seul fait de sa position ainsi désormais protégée chez Nissan et Renault-Nissan BV, ceci sauf à devoir démanteler l’alliance plutôt bénéfique entre les deux groupes ?

Question n°6: Le Président Carlos Ghosn bénéficie d’une rémunération équivalent à 8M€ chez Nissan qui lui semble garantie et sans lien avec la performance de cette filiale. Comment le conseil de Renault SA entend-il exercer ses responsabilités en matière de fixation des rémunérations du président de Nissan alors même qu’il est demandé à la société de renoncer à son vote libre dans ce domaine et que déjà votre conseil a semble-t-il renoncé à ses devoirs et sa responsabilité dans ce domaine ?

  • III. Questions sur la résolution 8 (rémunérations de Carlos Ghosn) :

Le code Afep Medef auquel se réfère Renault fixe dans son point 23.1 le Principes  – d’exhaustivité  que  « la détermination d’une rémunération doit être exhaustive.  Partie fixe, partie variable annuelle et / ou pluriannuelle, options d’actions, actions de performance, jetons de présence, conditions de retraite, avantages particuliers et, d’une manière générale, toute autre composante de la rémunération doivent être retenus dans l’appréciation globale de la rémunération» et prévoit dans son point 24.3 la Consultation des actionnaires sur les éléments de la rémunération due ou attribuée au titre de l’exercice clos incluant «  les avantages de toute nature ».

Proxinvest observe que les chiffres soumis aux actionnaires de Renault SA présentent cette année encore quelques manquements. Tout d’abord, la brochure d’assemblée générale remise aux actionnaires (avis de convocation) ne comporte aucune mention ou note de bas de page de la rémunération perçue par Carlos Ghosn au titre de ses fonctions de Président Directeur Général de Nissan, société détenue à 43,4% par Renault : cette rémunération substantielle équiavlente à 8 M€ versée par Nissan (soit plus ou moins la moitié de sa rémunération totale), quoique mentionnée au document de référence, ne figure pas parmi les éléments d’informations des actionnaires en page 29-31, ceci pour la deuxième année consécutive.

Question N°7 : l’absence d’information dans l’avis de convocation de la rémunération perçue de Nissan, soit environ la moitié des émoluments et avantages totaux perçus par M. Carlos Ghosn, préparant la résolution 8, ne constitue-t-elle pas un élément susceptible de tromper les actionnaires et donc un motif éventuel d’annulation de l’assemblée générale ?

Question N°8: La Loi Macron a modifié l’article L225-102-1 du Code de Commerce qui exige désormais « d’ indiquer … pour chaque mandataire social, une estimation du montant des rentes qui seraient potentiellement versées au titre de ces engagements et des charges afférentes.». La société ne semble pas respecter, sauf erreur de notre part, cette disposition légale contrairement aux autres sociétés françaises. Le conseil peut-il préciser à l’assemblée générale, préalablement au vote de la résolution 8, l’estimation du montant des rentes annuelles qui seraient potentiellement versées par le Groupe Renault à Mr. Carlos Ghosn au titre de sa future retraite et pourquoi il n’a pas veillé à respecter la Loi Macron sur ce sujet?

 

Question N°9 : Ces deux manquements à la communication ne constituent-t-ils pas une non-conformité manifeste au principe d’exhaustivité du Code de référence AFEP-Medef ?

  • IV. Question sur la résolution 13 (attribution d’actions gratuites) :

En cas d’adoption, la résolution 13 permettrait l’octroi d’attributions gratuites d’actions au Président Directeur Général sous condition d’atteinte de conditions de performance, notamment la marge opérationelle comparée à la moyenne d’un groupe de concurrents et une rentabilité de l’actionnaire (TSR) inférieure à celle de la moyenne de deux indices de comparaison (EuroStoxx Auto & parts et Euro Stoxx ex Financials). D’après le document « Principes de rémunération des plans d’intéressement long terme » mis en ligne sur le site Internet du groupe en avril 2016, aucune action ne serait octroyer pour ces deux critères si Renault est moins bon que ses comparables. Or, la brochure de l’assemblée générale en page 37 indique qu’une attribution partielle d’actions gratuites sera possible même en cas de sous-performance par rapport aux comparables. Ces documents que nous recopions en annexe sont contradictoires et certaines actionnaires votant par correspondance ont pu se baser sur une information erronée.

Question N° 10 : Lequel des deux documents est correct et y-a-t-il une attribution partielle possible d’actions gratuites en cas de sous-performance par rapport à la moyenne des sociétés ou indices de comparaison ?

 

  • V.Questions sur l’investissement de Renault en Russie

Un article du Wall Street Journal du 11 avril 2016 fait état des mésaventures de Renault en Russie. En 2008, Renault y a investi 700M€ pour obtenir 25% + 1 action du capital d’AvtoVAZ. Suite à la crise de 2008 et à la pression des autorités russes, il aura fallu accepter en 2012 de réinvestir, notamment en 2014 aux côtés de Nissan tout en investissant aussi au fil du temps dans la construction de lignes et du développement de la production en Russie. Le Wall Street Journal fait état d’un investissement cumulé total de 2,4 Mds $ pour Renault et Nissan. Malgré la présence du Président Ghosn à la Présidence du conseil d’administration d’AvtoVAZ, la contribution d’AvtoVAZ aux résultats de Renault est une nouvelle fois négative en 2015 pour -620M€. AvtoVaz ayant enregistré une perte supérieur à un Mds d’euros en 2015, la quote-part de Renault dans cette perte est de 395M€ (dont 136M€ de perte opérationnelle) et la valeur de l’investissement a été dépréciée une nouvelle fois, de -225M€ en 2015, pour être porté à 91M€ seulement à fin 2015, valeur égale à sa capitalisation boursière. Le document de référence fait état d’une nécessaire recapitalisation d’Avtovaz au regard d’actifs insuffisants et d’une prise de contrôle possible par Renault. Lors de la présentation de ses résultats financiers, Renault a indiqué des perspectives négatives en 2016 sur la Russie (-16%).

 

Question N°11 : Quel est le montant des investissements cumulés en Russie depuis 2007, tant en prises de participations qu’en investissements dans la production et modernisation?

Question N°12 : Au regard des pertes cumulées significatives et des perspectives baissières en Russie, regrettez-vous l’investissement dans AvtoVAZ et pensez-vous qu’il faille poursuivre le renflouement de ses pertes qui sont amenées à être consolidées par Renault si le groupe en prend le contrôle ? Quel est le niveau des prêts et créances de Renault sur AvtoVAZ à la clôture de l’exercice? Le risque de gouvernance n’est-il pas trop élevé pour risquer cette recapitalisation ?

  • VI.Questions sur l’utilisation de la trésorerie à recevoir de Nissan Motors.

En tant que Président de Nissan, Carlos Ghosn a annoncé en février un programme de rachat par Nissan de ses propres actions pour 400 milliards de yens (3,2 milliards d’euros) soit 300 millions de titres du  29 février et le 22 décembre 2016  qui ne modifiera pas « l’équilibre actionnarial avec Renault et n’aura pas d’impact sur la gouvernance de l’alliance« .  » Cette opération  devrait transférer d’importants montants de trésorerie de Nissan chez Renault puisque la quote-part de Renault chez Nissan (43% pourrait lui rapporter l’équivalent d’environ 1,3 Mds €.

Question N°13: Comment sera réutilisée cette trésorerie exceptionnelle : peut-on espérer la distribution d’un dividende exceptionnel aux actionnaires ou servira-t-elle au renflouement en capital des unités de production russes?

Proxinvest est une société de conseil de vote aux investisseurs. Les études complètes de Proxinvest (« Lettre Conseil ») sur chaque assemblée générale sont diffusées par abonnement à ses clients et aux clients d’ECGS ou peuvent être commandées à l’unité sur les sites shop.proxinvest.fr (version française) et shop.ecgs.com (version anglaise).

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