Ce jeudi 24 Janvier 2019, Renault annonce la démission de Ghosn qui nous l’espérons, permettra, d’éviter un facture encore plus salée.

Les conditions financières du départ de Carlos Ghosn de Renault ne restent à ce stade pas claires.

Un package pourrait osciller dans une fourchette très large allant de 0 à 30 millions d’euros, hors retraite, selon nos estimations ?Les questions qui se posent sont les suivantes : 

  • Une démission pour faire valoir ses droits à la retraite ou  une démission tout court ?

Alors que le Président Directeur Général d’une société anonyme, en sa qualité d’administrateur, est révocable ad nutum, compte tenu de ses déboires judiciaires Carlos Ghosn a dû démissionner de ses fonctions de dirigeant à la tête du groupe Renault SA[1]. Une interrogation subsiste. Combien pourrait-il toucher à raison de son départ ?

Afin de répondre à cette épineuse question, nous analyserons successivement l’engagement de retraite sur-complémentaire, puis l’éventuelle acquisition d’actions de performance non encore acquises et enfin l’hypothétique clause de non concurrence.

  • Une généreuse « retraite chapeau » 

Carlos Ghosn bénéficie d’un régime de retraite à prestations définies (« retraite chapeau ») sous condition qu’il soit en fonction au sein de la société Renault SA « au moment où il fera valoir ses droits à la retraite »[2].

Ce régime de retraite permettrait l’attribution d’une rente additionnelle culminant à 764 946 € par année jusqu’à la fin de sa vie. Cette rente excède très largement le seuil de 300 000 € arrêté par Proxinvest[3]. Nous regrettons que le conseil d’administration n’ait jamais pris en compte les recommandations de Proxinvest.

  • La perte ou le maintien d’actions gratuites estimées à plusieurs dizaines de millions d’euros ?

Carlos Ghosn bénéficie de 4 plans d’attribution d’actions de performance portant au total sur un maximum de  380 000 actions de performance estimées par Proxinvest à 21,6 millions d’euros[4].

Il est important de relever que l’attribution définitive des actions de performance est conditionnée à la présence du bénéficiaire au sein de Renault SA, exception faite « d’une mise à la retraite ou d’un départ volontaire à la retraite dudit bénéficiaire »[5]. Si Carlos Ghosn démissionne de ces fonctions à sa seule initiative afin de faire valoir ses droits à la retraite, il pourrait donc se voir attribuer définitivement la totalité des actions de performance simplement attribuées au titre de ses rémunérations long-terme, soit environ 22 millions d’euros (au cours de clôture du 22 janvier 2019)

Carlos Ghosn, PDG de Renault

Concernant les actions attribuées dans le cadre de la rémunération variable différée[6], la société indique la même exception à la condition de présence.  Ainsi si Carlos Ghosn fait valoir ses droits à la retraite, il pourrait réclamer la totalité des actions de performance simplement attribuées, soit environ 4 millions d’euros[7].

Si le Conseil d’administration aurait préféré une voie médiane et procéder à une attribution définitive prorata temporis à l’instar de ce qui avait déjà été préconisé par le HCGE lors du départ de Michel Combes chez Alcatel-Lucent. Les montants en jeu s’élèveraient alors à environ 14 millions d’euros[8] selon une estimation Proxinvest pour les actions de performance  dans l’hypothèse où les conditions de performances seraient satisfaites.

Proxinvest s’étonne, dans le cadre du respect de la procédure des conventions réglementées, de n’avoir jamais eu l’occasion de voter sur cette disposition permettant l’acquisition définitive des actions de performance en cas de départ à la retraite de Carlos Ghosn. Un tel mécanisme pourrait être assimilé à un élément de rémunération ou un avantage dû à raison de la cessation des fonctions du dirigeant[9], donc soumis à la procédure des conventions réglementées. Par conséquent cette attribution définitive anticipée pour cause de départ à la retraite, aurait dû apparaitre dans les rapports spéciaux des commissaires aux comptes et être soumis à la procédure des conventions réglementées au titre des exercices antérieurs, ce qui n’a jamais été le cas.

Par conséquent aucune action de performance simplement attribuée ne devrait être définitivement acquise. En tout état de cause, Proxinvest estime que le Conseil d’administration de Renault SA aurait tout intérêt à ne rien attribuer ou verser à Carlos Ghosn dans l’attente de l’issue des procédures judicaires dont il fait l’objet.

  • Le paiement d’une clause de non concurrence devient sans intérêt, son versement est donc peu probable

Un accord de non concurrence liant Renault SA à Carlos Ghosn, a été mis au vote pour la première fois lors de l’assemblée générale des actionnaires en 2015 et approuvé à seulement 63,50% alors que nous nous y étions fermement opposé. Le dirigeant pourrait percevoir en contrepartie de son obligation de non concurrence « durant la période d’application de l’accord et sous réserve de non-contravention à celui-ci, une contrepartie financière brute correspondant à deux ans de rémunération brute totale (fixe et variable), payable en vingt-quatre mensualités »[10], étant précisé que le Conseil d’administration « se prononcera, lors du départ de M. Carlos Ghosn, sur l’application ou non de la présente clause de non-concurrence et pourra unilatéralement renoncer à l’application de cette clause ». Carlos Ghosn pourrait ainsi percevoir environ 4-5 millions d’euros, montant excessif au regard de notre Politique de vote limitant ce type de contrepartie financière à un an de rémunération (fixe et variable)[11].

Une telle contrepartie financière nous pariat peu probable alors que Carlos Ghosn est retenu au Japon pour une durée indéterminée et qu’il peut mettre un terme à sa carrière en faisant valoir ses droits à la retraite.

Le paiement de cette contrepartie financière contreviendrait de plus frontalement aux dispositions du code AFEP-MEDEF (révisé en juin 2018) prévoyant « que le versement de l’indemnité de non-concurrence est exclu dès lors que le dirigeant fait valoir ses droits à la retraite. En tout état de cause, aucune indemnité ne peut être versée au-delà de 65 ans »[12].

Rappelons enfin, au-delà de l’obligation de loyauté pesant sur le dirigeant envers la société qui pourrait perdurer au-delà de la fin de son mandat social, qu’en l’absence d’un contrat de travail liant la société à son dirigeant, de jurisprudence constante[13], le versement d’une contrepartie financière ne fait pas partie des conditions de validités d’une clause de non concurrence.

  • La conclusion de Proxinvest

Pour conclure, selon les estimations Proxinvest et hors engagements de retraite, le montant total que pourrait percevoir Carlos Ghosn, à raison de son départ de Renault SA, pourrait osciller entre environ 0 et 30 millions d’euros.

Si Carlos Ghosn semble à priori avoir démissionné à sa seule initiative, il ne devrait pas bénéficier de conditions de départ généreuses à l’exception de sa retraite complémentaire.

Toutefois dans l’hypothèse d’une démission pour faire valoir ses droits à la retraite, les éléments de rémunération ou avantages postérieurs à l’emploi pourraient être réclamés.

Il serait utile que le conseil d’administration éclaircisse cette zone d’ombre au plus vite.


[1] https://media.group.renault.com/global/fr-fr/groupe-renault/media/pressreleases/21221350/communique-du-conseil-dadministration5

[2] Page 302 du Document de référence 2018

[3] 4.2.3.5. Régimes de retraite sur-complémentaire, b) alinéas 3 et 4, Politique de vote Proxinvest 2019

[4] Calculé à partir du cours de clôture de l’action Renault SA au 22/01/2019, soit 56,78€

[5] Page 307 du Document de référence 2018

[6] 75% de sa rémunération variable annuelle est différée sous formes d’actions gratuites

[7] au cours de clôture du 22 Janvier 2019 et avec l’estimation du nombre d’actions concernant les rémunérations variables différées des exercices 2014 et 2015

[8] Calculé à partir du cours de clôture de l’action Renault SA au 22/01/2019, soit 56,78€

[9] Article L.225-42-1 alinéa 1 du Code de commerce

[10] Page 404 du Document de référence 2018

[11] 4.2.3.3. Clause de non-concurrence, a), Politique de vote Proxinvest 2019

[12] 23.4 du Code AFEP-MEDEF révisé en juin 2018

[13] Com. 7 janv. 2004, n°02-17.091 ; Com. 21 sept. 2004, n° 00-18.265 ; Civ. 1re, 2 oct. 2013, n°12-22.846 FS-P+B+R+I; Com. 8 oct. 2013, n°12-25.984.


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