Les abus du pouvoir personnel de Carlos Ghosn perdront-t-ils tous le terrain conquis par Renault ? La question se pose à la lecture de la stupéfiante nouvelle venue du Japon le lundi 19 novembre 2018.

Le président de Nissan et président de l’Alliance a été arrêté au Japon pour diverses raisons qui mentionnées dans un communiqué de Nissan daté du même jour : la société japonaise, filiale à 43% du groupe Renault,    sous un contrôle auto-limité de RENAULT SA depuis 2016, a donné suite à la plainte d’un lanceur d’alerte concernant les agissements du président Ghosn et de son directeur délégué Greg Kelly, au départ pour de fausses déclarations sur les rémunérations de Carlos Ghosn auprès de la Bourse de Tokyo. Nissan ajoutait que de nombreux manquements de Carlos Ghosn ont été découverts comportant l’utilisation personnelle des actifs sociaux. Nissan dit avoir coopéré avec le parquet japonais et souhaiter continuer de coopérer avec les autres membres de l’Alliance Renault et Mitsubishi. Le directeur général de Nissan Hiroto Saikawa a obtenu dans la même semaine au conseil d’administration de Nissan de révoquer Carlos Ghosn de son poste de président et Greg Kelly de son poste d’administrateur.

Depuis de nombreuses années Carlos Ghosn occupe les premières places du classement Proxinvest sur la rémunération des dirigeants des sociétés françaises avec une moyenne de 12,7 millions d’euros par an depuis 2009, on y intègrait la rémunération chez Nissan, longtemps tenue occulte malgré les questions de Proxinvest et les règles d’informations censées s’appliquer aux sociétés françaises. Proxinvest, dont les études sont disponibles sur RESEARCHPOOL avait depuis plusieurs années alerté les actionnaires, les administrateurs, l’AMF et l’APE sur les excès du pouvoir personnel de Carlos Ghosn chez Renault et demandé au régulateur d’intervenir sur cette question de la transparence des rémunérations perçues par le président de l‘Alliance…

Lors de l’assemblée générale de Renault en avril 2016,  le président de Proxinvest avait publiquement interpellé les administrateurs sur leur renonciation en faveur de Nissan de toute désignation d’administrateur et de toute décision de rémunération chez Nissan, renonciation prévue par une nouvelle très étrange convention  avec Nissan.  Pierre-Henri Leroy avait aussi interpellé publiquement le président Ghosn sur son manque personnel d’exemplarité.

Ladite assemblée générale avait fait finalement surprise en refusant d’approuver la rémunération du PDG du groupe, et Proxinvest avait été invité à l’automne par le comité des rémunérations de Renault à exposer son analyse de cette situation. Deux questions de Proxinvest sur les rémunérations éventuelles de Carlos Ghosn en Russie et sur son régime fiscal personnel avaient été relayées par le président du comité de rémunération, Patrick Thomas, mais n’avaient reçu aucune réponse de la part de l’équipe de direction de Renault SA menée par Mouna Sepheri  présente à cette réunion.

Quelques mois plus tard, juste avant l’assemblée générale de 2017,  un  scandale éclatait suite à la révélation par Reuters d’un projet de répartition de nouveaux bonus pour les dirigeants, projet finalement démenti par Carlos Ghosn lui-même, de 80 millions d’euros de synergies du groupe parmi les hauts cadres et dirigeants exécutifs de l’Alliance, des bonus à attribuer exclusivement sous la supervision unique du président de l’Alliance.

Le caractère dramatique d’une mise en examen brutale du président de Renault et la rupture de confiance entre Carlos Ghosn et la direction exécutive de Nissan ne peut que désoler et inquiéter les actionnaires admiratifs des succès de cette formidable alliance industrielle.

Les administrateurs de Renault, trop admiratifs aussi des qualités reconnues de leur président, ont au long de ces années fait preuve d’une trop grande complaisance à l’égard du formidable dynamisme de ce PDG polyglotte, notamment en acceptant trop facilement le départ successif de divers dirigeants susceptibles de le remplacer, comme Messieurs Pelata ou Tavarès, ce dernier parti même librement à la concurrence immédiate de Peugeot S.A. … Plus gravement, en sacrifiant en 2016, avec la complaisance incompréhensible de l’Etat, leur propre responsabilité et le pouvoir du conseil d’administration de Renault au bon plaisir du conseil de Nissan, présidé par Carlos Ghosn , les administrateurs de Renault ne pouvaient et ne peuvent plus exercer pleinement leur vrai rôle d’actionnaire chez Nissan.

Il est vrai que le pouvoir personnel très fort de Carlos Ghosn a terrorisé les commissaires aux comptes, les administrateurs et les régulateurs, mais les investisseurs qui ont voté les accord de 2016 ont leur part de responsabilité.

Très mal notée par le Proxinvest Corporate Governance Rating depuis quelques années, Renault doit, selon Proxinvest,  rapidement revenir à une gouvernance démocratique de qualité tout en restaurant la culture internationale originale que Carlos Ghosn avait su créer. Le conseil d’administration devra se réunir afin de nommer un Président indépendant au conseil chargé de faire la lumière sur les diverses exactions,  assurer une continuïté du management et la relation de confiance avec les partenaires.

Bloomberg écrit de façon énigmatique ce 19 novembre , « Si Davos était un homme ce serait Carlos Ghosn. » Est ce assez dire que l’impunité et l’irresponsabilité fiscale des multinationales est ici mise en cause de façon exceptionnelle?

Paris , 20 novembre 2018

 

 

Toutes les études de Proxinvest en français ou en anglais sont disponibles sur RESEARCHPOOL 

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