D’après une nouvelle étude du cabinet Spencers & Stuart reprise par la presse ce 9 septembre 2014, Maurice Lévy, Président du Directoire de Publicis, serait le patron le plus rémunéré de France en 2013 avec 4 500 000 Euros. Ce classement mérite d’être nuancé mais offre l’occasion de s’interroger sur les modalités de calcul d’une telle rémunération.

Cette enquête ne semble prendre en compte que les rémunérations fixes et les bonus attribués, or nul n’ignore que la rémunération des dirigeants se compose de bien d’autres éléments (par exemple stock-options, actions de performance, régime de retraite supplémentaire ou d’autres formes plus complexes telles que le carried interest, les actions « fantômes », les bonus différés ou montage en société en commandite par actions).

Les actionnaires ne doivent donc pas être naïfs quant au coût réel des équipes de direction et prendre le temps d’incorporer l’ensemble des attributions aux dirigeants dont ils supportent in fine le coût. C’est tout le sens du rapport annuel de Proxinvest sur les rémunérations qui sera publié en novembre. Cette démarche plus exhaustive permet notamment de veiller au bon contrôle de la direction par les conseils d’administration ou de surveillance et devient alors un véritable signal sur le niveau d’indépendance ou de féodalité des administrateurs face au dirigeant.

Maurice Lévy est bien toutefois le Président français bénéficiant de la rémunération salariale la plus élevée (4,5M€) et ceci appelle plusieurs commentaires de la part de Proxinvest :

–          Maurice Lévy est le seul dirigeant français ne disposant pas de rémunération fixe. En effet, Publicis avait annoncé que la rémunération de Maurice Lévy devenait uniquement variable à partir de janvier 2012, fonction des performances du Groupe et de l’atteinte des objectifs qualitatifs. La société en concluait que les intérêts de l’entreprise, des actionnaires et du principal dirigeant du Groupe étaient ainsi parfaitement alignés. Selon Proxinvest, cette communication d’une rémunération 100% variable était astucieuse mais ne devait pas être soutenue et l’agence recommandait alors à ses clients de s’opposer à la rémunération dans sa Lettre Conseil relative à l’assemblée générale du 29 mai 2013. En effet, l’expérience américaine du « one dollar salary » montre que l’absence de réelle rémunération fixe a plutôt pour objectif de justifier des rémunérations variables et totales très élevées et donc d’un coût total plus élevé pour l’actionnaire.

–          Proxinvest s’opposait alors également  du fait du poids excessif du variable dit « qualitatif », forme de rémunération qui pèse pour 30% du total dont l’attribution reste obscure et à la discrétion du conseil.

–          La rémunération de Maurice Lévy n’avait obtenu que 78,78% de voix favorables, un score très faible si on prend en considération que l’actionnaire de référence (Elisabeth Badinter) bénéficie de droits de vote double.

Comment le conseil de surveillance est-il arrivé à ce chiffre de 4,5M€ de rémunération variable pour 2013?

La lecture du document de référence permet de deviner comment ce variable de 4,5M€ a été calculé.

Le variable de Maurice Lévy repose tout d’abord sur trois critères financiers quantitatifs toujours soumis à comparaison avec trois autres groupes mondiaux de communication (Omnicom, WPP, IPG). L’exigence de comparaison concurrentiel est une discipline qu’il convient de souligner et à laquelle ne s’osent pas tous les dirigeants du CAC 40.

  1. On sera tout d’abord étonné d’apprendre que ce variable le plus élevé de France est versé dans une société dont la croissance des ventes est significativement inférieure à celle de ses concurrents : la croissance organique du revenu du Groupe (2,6 %) est égale selon la société « à 79,59 % de celle du groupe de référence (Omnicom, WPP et IPG) ». Nous en déduisons que ce taux de réalisation, inférieur à 80% de la performance des concurrents, génère 0€ de variable pour ce critère.
  2. Ensuite le taux de résultat net par rapport au revenu est effectivement en hausse, il est selon la société « supérieur au taux le plus élevé réalisé au sein du groupe de référence ». Nous en déduisons que le variable maximal pour ce critère est attribué soit 1,000,000€. Proxinvest a bien contrôlé le taux de marge nette de WPP (8,6%), Omnicom (6,8%) et IPG (4,5%)  et le taux de marge nette de Publicis reste largement supérieur à 11,4%, ce qui témoigne du maintien d’une profitabilité supérieure de Publicis par rapport à ses concurrents principaux. Ce critère de performance ne devrait pas poser de problème d’atteinte particulier tant que les concurrents n’auront pas rattrapé leur déficit de  rentabilité. Le critère de l’évolution de la marge tel qu’utilisé chez le concurrent  WPP serait-il préférable à ce critère de maintien d’une marge nette supérieure aux concurrents ? Question ouverte sur laquelle le comité des rémunérations aura dû se pencher.
  3. Troisième critère, le bénéfice net par action dilué sur deux ans : selon la société, « le taux d’évolution de l’EPS de Publicis Groupe y compris coûts relatifs au projet de fusion (18,6 %) est supérieur à la moyenne du groupe de référence ».  Nous en déduisons que le variable maximal pour ce critère est attribué soit 1,000,000€.
  4. Le quatrième critère est le TSR (hausse du cours + dividende) qui atteint + 17,22 € en 2013. Nous en déduisons que le variable maximal pour ce critère est attribué soit 1,000,000€. Le conseil pourra s’interroger sur la nécessité de mesurer ce critère de la création de valeur actionnariale de façon comparée à ses principaux concurrents comme le fait par exemple son concurrent WPP pour son plan d’actions de performance.
  5. Les critères qualitatifs de la rémunération variable attribuée à Maurice Lévy sont eux difficilement appréciables. Par déduction, Proxinvest estime que ce variable qualitatif est très probablement de 1,5M€ pour 2013. Sans remettre en cause la pertinence des critères (« préparation de la direction future du Groupe » et «préparation du développement de la capacité bénéficiaire à moyen et long terme du Groupe »), les deux critères ne semblent pas pleinement satisfaits et Maurice Lévy n’aurait donc pas dû bénéficier de 1,5M€ de variable qualitatif.

 

Certains se poseront la question du niveau de rémunération de Maurice Lévy : est-il trop payé ?

Délicate question à laquelle il convient de répondre de façon nuancée.

Tout d’abord, le secteur de la communication reste celui des patrons stars aux égos très développés qui contribuent à tirer leur rémunération vers les sommets et force est de constater que Maurice Lévy est moins rémunéré que ses principaux concurrents, par exemple John Wren ou Martin Sorell.

Il a bénéficié de nombreux plans d’options au fil de sa carrière qui se sont révélés profitables au regard de l’excellente progression du titre Publicis sous sa présidence, et il en perçoit désormais les fruits via un dividende légèrement supérieur à sa rémunération. Sa rémunération actuelle n’est probablement pas sa principale source de motivation.

Corrigé du biais sectoriel évoqué ci-dessus, cette rémunération de 4 500 000€ peut toutefois choquer et reste difficile à justifier en France. La rémunération totale de Maurice Lévy excède en effet les niveaux généralement observés en France : elle correspond à 129% de la médiane constatée en 2013 au sein du CAC 40 (source : rapport annuel de Proxinvest sur la rémunération des dirigeants, Novembre 2013) alors que Publicis n’est que la 28ème capitalisation de l’indice CAC 40.

Le montant choque surtout au regard du contexte. Finir dirigeant disposant de la rémunération salariale la plus élevée avec 4 500 000€ de rémunération variable (soit 90% de son maximum de 5M€) pour un exercice qui se solde par l’échec d’une fusion, annoncée au printemps 2013 comme nécessaire, visant à la création du numéro un mondial de la communication, cela amène à se poser des questions.

Au regard des réserves précitées ainsi que d’autres liées à l’indemnité de non-concurrence, Proxinvest avait recommandé à ses clients de s’opposer à la résolution « Say On Pay » le 28 mai 2014, cette résolution devenant une des plus contestées de la saison avec 67,7% de voix favorables seulement (droits de vote doubles d’Elisabeth Badinter et de Maurice Lévy compris). Un vrai avertissement pour les membres du conseil de surveillance de Publicis et le Président de son comité des rémunérations, Amaury de Sèze, responsables en chef de ces déficiences…

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