En versant en mai 2022 une prime exceptionnelle de 3 581 000€[1]  au Président du Directoire de M6, Nicolas de Tavernost, le conseil de surveillance de M6 a fait preuve d’une extrême précipitation.

Si la société indiquait dans sa documentation que cette rémunération exceptionnelle était attribuée pour récompenser 35 ans de bonne performance du groupe et pour compenser la renonciation du dirigeant à son indemnité de départ, elle indiquait également que cette attribution a été décidée dans la perspective du projet de fusion[2].

Les groupes M6 et TF1 ayant indiqué ce vendredi 16 septembre 2022 y renoncer en raison des demandes de l’autorité de la concurrence[3], les actionnaires s’étonneront tout d’abord du paiement d’une telle prime exceptionnelle pour un projet stratégique non abouti.

Les actionnaires s’étonneront ensuite de voir le conseil de surveillance accepter le principe d’un paiement dès 2022 sans savoir si la fusion aurait créé de la valeur à long terme.

Les actionnaires s’étonneront de devoir verser une rémunération au dirigeant en compensation de la renonciation à son indemnité de départ alors même qu’il était annoncé futur Président exécutif du nouvel ensemble. Malgré l’évolution de l’actionnariat qu’aurait induit le rapprochement, il n’enlève en rien qu’une indemnité de départ ne doit être versée qu’en cas de départ contraint selon le code AFEP-MEDEF et que le versement anticipé de cette prime semble permettre de contourner la recommandation du code de gouvernance.

Les actionnaires s’étonneront enfin de devoir une nouvelle fois payer pour récompenser « 35 ans de bonne performance ». Certes, Nicolas de Tavernost doit être salué pour avoir merveilleusement développé le groupe M6 depuis sa prise de fonction en 1987 mais il a bien évidemment toujours perçu une rémunération au titre desdites fonctions. Ainsi, au cours des derniers exercices, il bénéficiait d’une rémunération fixe d’un million d’euros, d’un bonus annuel pouvant atteindre également un million d’euros ainsi que de l’attribution d’actions gratuites de performance.

Le versement de cette prime de 3 581 000€ était conditionné à l’approbation de l’assemblée générale des actionnaires du 26 avril 2022. Sans surprise, Proxinvest recommanda l’opposition à cette résolution qui ne fut approuvée qu’à 67,28% des voix, un seuil cependant suffisant pour permettre le versement. Toutefois, compte-tenu du poids de l’actionnaire de contrôle (RTL – plus de 48% des droits de vote totaux soit environ 57% des droits de vote exercés le jour de l’assemblée), la résolution n’a même été soutenue que par 24% des actionnaires minoritaires.

Dans ce contexte où la décision du conseil de surveillance de M6 apparaît particulièrement incompréhensible, il semble nécessaire de rappeler quelques principes de bonne gouvernance applicables à l’attribution de ce type de rémunération :

  • Toute rémunération attribuée dans le cadre d’une opération stratégique ne doit pouvoir être versée (ou acquise dans le cas d’instruments de rémunération en actions) qu’après le succès de ladite opération et, dans le cas d’une acquisition/fusion, après le succès de l’intégration de toutes les parties prenant part à l’opération.

Dans le cas présent, le vote entérinant le versement de cette rémunération exceptionnelle décidée dans la perspective de la fusion a eu lieu en avril 2022 et le versement en mai 2022 alors que la fusion était attendue pour fin 2022-début 2023. A minima, M6 aurait dû attendre le succès des toutes dernières étapes de la fusion pour effectuer ce versement.

Relevons que la société précisait dans sa documentation, et nous rappelle, que cette rémunération a été attribuée pour compenser la suppression de l’indemnité de départ. Que la fusion ait lieu ou pas, le dirigeant serait resté dans le groupe (nouveau groupe en cas de fusion, groupe actuel en cas de non-fusion). Il semble dès lors étonnant d’attribuer une rémunération compensant une indemnité de départ pour quelqu’un qui reste dans le groupe.

  • Toute rémunération variable ou exceptionnelle attribuée devrait pouvoir être restituée par le bénéficiaire (clause de « clawback ») en cas de découverte, post-versement, d’éléments impactant la détermination des montants attribués.

Dans le cas présent, cette rémunération exceptionnelle ayant été attribuée dans la perspective de la fusion, et cette fusion n’ayant pas eu lieu, cette rémunération exceptionnelle n’a plus lieu d’être. Pourtant, elle a, d’ores et déjà, été versée. Si une clause de clawback avait été mise en place dans la politique de rémunération du dirigeant, sa restitution aurait pu être exigée par le conseil.

Il semble que le code AFEP-MEDEF serait favorablement inspiré de recommander aux entreprises l’inclusion de clauses de clawback dans les politiques de rémunérations (pour couvrir a minima la découverte a posteriori d’erreurs comptables, d’amendes ou de comportements répréhensibles).

Par ailleurs, cette résolution a été fortement contestée par les actionnaires minoritaires : le code AFEP-MEDEF devrait recommander, comme le fait le code Middlenext, la prise en compte, par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance, du vote des actionnaires minoritaires.

  • La mise en place de conditions de performance (notamment des indicateurs de performance liés à la fusion/acquisition en question) est indispensable.

Le succès d’une fusion ne repose pas que sur la création d’une nouvelle entité ; il repose également sur l’intégration opérationnelle de chacun de ces groupes au sein de cette nouvelle entité et ce processus d’intégration peut être mesuré, quantifié, évalué via divers indicateurs. Il semble dès lors tout à fait pertinent que toute forme de rémunération qui serait attribuée dans le cadre d’une opération stratégique repose également sur ce type d’indicateurs. Par ailleurs, bon nombre de fusions échouent et la création de valeur d’une fusion s’observe sur le long-terme ; il est donc pertinent d’opter pour une rémunération alignée sur la performance de long-terme.

[1] https://www.groupem6.fr/content/uploads/2022/02/Communique-AFEP-MEDEF-Fevrier-2022.pdf

[2] https://www.groupem6.fr/content/uploads/2021/07/INFORMATIONS-AFEP-MEDEF-RELATIVES-AU-PROJET-DE-FUSION-ENTRE-LES-GROUPES-M6-ET-TF1-Juillet-2021.pdf

[3] https://www.groupem6.fr/content/uploads/2022/09/Abandon-du-projet-de-fusion-des-groupes-TF1-et-M6-VF.pdf

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